L'envahisseur
C
arol, la trentaine, travaille comme cliente mystère. Son boulot consiste à se rendre incognito dans les hôtels pour évaluer la qualité des services. Sans attaches, elle va d'un lieu de villégiature à l'autre. Au printemps 2020, un vilain virus la force à rentrer chez elle, à Bilbao. Confinement oblige, elle ne peut voir son père avant qu’il ne meure. Elle découvre que depuis quelques semaines ce dernier hébergeait Omar, un jeune Marocain, lequel a contacté les urgences quand le vieillard était au plus mal. Tous deux se dirigent vers le village natal du vieil homme pour disperser ses cendres dans la rivière qui le traverse.
L’envahisseur présente les conséquences du covid de trois points de vue : un aîné décédant seul, une femme de carrière forcée de s’arrêter et un sans-abri. Ils ont peu en commun, sinon qu’ils pratiquent une forme de nomadisme. L'une enchaîne les séjours à l’hôtel et le second est sans domicile fixe. Sédentaire, l’aîné est accompagné par le tandem pour son voyage posthume.
L’ode à la solidarité est réussie et la lecture se montre agréable. Il est intéressant de constater qu'à Bilbao, Paris ou Montréal, les confinés vivent tous la crise de la même façon : cuisine, ménage, gymnastique, célébration du personnel de la santé, arcs-en-ciel affichés sur les portes, etc. La face la plus sombre demeure évidemment l’hécatombe dans les maisons de retraite. Le scénariste José Antonio Pérez Ledo évoque ces tranches de vie, à la fois banales et exceptionnelles, que tous tendent à oublier.
Le travail d’Alex Orbe s’apparente au trait naïf de Nicoby. Ses dessins, sans flafla, sont efficaces et vont droit au but. Certaines illustrations apparaissent particulièrement éloquentes, même si elles ne sont pas liées au fil narratif. Par exemple une planche complète, consacrée à un trio de sangliers libres de déambuler à proximité d’une ville désertée. Une page fractionnée en une multitude de cases synthétise le fléau en rappelant ses différents marqueurs, de Netflix au papier hygiénique en passant par le sudoku, les produits nettoyants et le laisser-aller vestimentaire.
Au-delà de ce rappel d’un quotidien atypique, il manque quelque chose à ce projet rempli de bonnes intentions. Ce type d’histoires a été présentées ad nauseam par les médias et, cinq ans plus tard, le lecteur aurait souhaité que les événements soient exposés avec davantage de recul. Peut-être est-il trop tôt pour aborder cette question. D’ailleurs, la pandémie n’a toujours pas inspiré de grande œuvre.
6.0
