Eldorado - Le Délire d'Aguirre

C et album est le résultat d'une commande pour la commémoration des cinq cents ans de la "méprise" de Christophe Colomb. Il aura fallu attendre plus de trente années pour qu'il soit enfin traduit. Comment expliquer qu'il n'ait pas encore été édité en français alors que le maître argentin jouit chez nous d'une belle réputation ?

L'appréhension est compréhensible. Elle ne dure pourtant pas.

Le scénario de Carlos Albiac est consacré au personnage d'Aguirre. Ce conquistador espagnol véhicule son lot de fantasmes, tant il est indissociable d'une imagerie intense forgée, entre autres, par le regard fou de Klaus Kinski devant la caméra de Werner Herzog. Pourtant, il n'est pas question de se conformer à cette représentation populaire. L'auteur tente plutôt d'apporter une vision plus pertinente historiquement. Il délaisse la légende, aussi grandiose soit-elle. Il ne fait pas l'impasse sur la folie et la cruauté de son sujet, mais il apporte une explication plus crédible à son obsession, tout autant guidée par la recherche de la richesse que par une forme de justice qu'il pensait obtenir au nom de tous ceux qui étaient partis à la conquête du "Nouveau Monde". En effet, il s'agissait avant tout d'enrichir la couronne, mais sans guère de profit personnel.

Pour illustrer cette quête sauvage et destructrice, Alberto Breccia déploie tout son talent pour composer des planches fiévreuses, quasi hallucinatoires. Il privilégie un style volontiers excessif et grotesque, qui semble jeter un pont inattendu entre Bosch et Bacon. Les couleurs explosent. Les personnages débordent de leur corps. Les cases et les planches semblent presque trop petites pour contenir tout le génie du dessinateur. La lisibilité demeure malgré tout impeccable. La narration très dense se déroule naturellement. Le récit oscille entre la bouffonnerie dérisoire, accentuée par l'utilisation d'un trouvère, et une violence vouée au tragique.

L'époque était tourmentée et complexe, tout comme le héros de cet album qui constitue aussi une divine surprise : un album inédit de l'auteur de Perramus qui éblouit une fois de plus.

Moyenne des chroniqueurs
7.0