Le photographe 3. Tome 3

Odyssée afghane

En 1986, le reporter-photographe Didier Lefèvre accompagne une équipe de Médecins Sans Frontières en Afghanistan, alors que le pays traverse une guerre qui oppose l'armée soviétique aux résistants Moudjahedins. La mission humanitaire touchant à sa fin, le photographe apprend que l'équipe MSF a prévu un détour qui devrait rallonger le trajet retour d'une bonne semaine. Fatigué d'être ballotté et soucieux de reprendre en main sa destinée, il décide de repartir seul au Pakistan. Ce troisième et dernier volume est le récit de ce voyage.
Pas plus chanceux qu'Ulysse à son retour de la guerre de Troie, Didier Lefèvre raconte sa calamiteuse odyssée afghane. Escorté par quatre paysans récalcitrants qui bientôt l'abandonnent à son sort, il connaîtra le découragement, la maladie, le froid, et la certitude d'une fin proche. Puis découvrira qu'effectivement l'enfer, c'est les autres.

Quel que soit l'angle sous lequel on aborde Le Photographe, on arrive à cette même sensation : celle de tenir en mains un monument de la bande dessinée. Tout est parfait. Le récit est poignant et rythmé, magnifiquement écrit et dessiné par Emmanuel Guibert, auteur prodige à l'aise dans tous les registres. Le fait qu'on le sache authentique ne fait qu'amplifier la puissance du témoignage. Mais l'intérêt de ce triptyque ne s'arrête pas là.

Dans la forme, ce livre-reportage innove par sa façon très habile de mêler la narration en bande dessinée avec de nombreuses photographies. Ces dernières ont plusieurs fonctions : redondantes parfois avec les images dessinées, elles enracinent l'histoire dans le réel. Ailleurs, elles se substituent aux dessins pour continuer le récit, sans que l'oeil soit choqué par le passage du dessin à la photo. Au contraire, cela donne lieu à des ellipses porteuses de sens.
Et par-dessus tout, la présence et le nombre des photographies rappellent qu'elles sont la seule moisson de ce chercheur de trésor si particulier, ce photographe venu collecter des images, qui continue inlassablement sa récolte y compris dans les moments les plus critiques.

Le récit atteint une sorte de paroxysme dans les pages 48 à 63, lors de l'ascension solitaire par Didier Lefèvre d'un col de haute montagne. A mesure que le jour décline, l'angoisse du photographe se développe. La neige s'ajoutant à l'obscurité, il finit par se perdre lui-même, n'étant plus qu'une ombre noire sur un fond cendré, avant le noir intégral et la résignation à mourir. Les photos présentées à ce moment, isolées, seraient juste étranges. Au sein du récit, elles sont bouleversantes.

La conception de ce livre est à la hauteur de son propos. En post-face, un dossier complet tire les portraits de nombreuses figures aperçues au cours du récit, et fournit quelques détails sur ce qu'ils ou elles sont devenues. Des cartes géographiques permettent de situer le parcours. Enfin, cerise inattendue sur le gâteau, un DVD inséré dans le livre propose le documentaire filmé par Juliette Fournot, qui raconte cette même mission MSF, vue sous un autre angle. Les visages sont familiers, mais on est presque surpris de les redécouvrir filmés en couleurs… et d'entendre les voix.

Le Photographe propose donc une expérience de reportage multimédia très intense, où se croisent BD, photo et film.

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