La terre verte La Terre verte

1492, alors que la guerre des Deux-Roses a vu l'accession au trône du premier roi de la dynastie Tudor, un navire anglais arrive en vue du Groenland. Il accoste à Gardar, trou perdu où se trouve le siège du dernier évêché en cette terre inhospitalière. Là-bas, débarquent Mathias, à qui revient la charge de cet étrange diocèse et un bossu boiteux qui répond au titre de Messire Richard...

Dans le neuvièmeArt, Alain Ayroles fait partie des scénaristes dont chaque nouvelle sortie est guettée avec curiosité. Cette attente se décuple encore lorsqu'il s'associe à un dessinateur tel que Hervé Tanquerelle (Le Dernier Atlas, Racontars arctiques, Professeur Bell, Groenland Vertigo). À l'annonce de la sortie de La Terre verte, le monde des bédéphiles bruissait donc d'une certaine impatience.

Pour l'occasion, Hervé Tanquerelle retrouve un cadre qu'il connait bien ; à son aise sur les décors, il peut s'en donner à cœur joie dans la mise en scène. Que ce soit sur les pages de garde des chapitres, les extérieurs, la nature ou les trognes des locaux, le dessinateur offre un travail impressionnant que les couleurs d’Isabelle Merlet subliment. Pour l'intrigue, le scénariste des Indes Fourbes qui aime jouer avec les angles morts de l'Histoire, choisit cette fois, un point de départ qui a des allures de double uchronie. D'une part, et si Richard III n'était pas mort lors de la bataille de Bosworth ? D'autre part, et si le moine Matthias, nommé évêque du Groenland par le Pape Alexandre VI, était arrivé à destination ? Alors que les livres d'histoire confirment la mort du premier, marquant la fin de la Guerre des Deux-Roses, et qu'aucune trace de l'arrivée à bon port du second n'a été retrouvée, les auteurs content le récit de leur aventure commune sur cette « Terre Verte ». Malgré des ambitions différentes, les deux personnages sont animés d'une même force, et veulent prendre le contrôle de ce territoire tout en assouvissant leurs prétentions. Tandis que l'homme de foi veut (re)développer le christianisme, le souverain déchu nourrit un immense esprit de revanche.

Autour de ces deux figures d'autorité gravitent nombre d'individus, crédules et influençables, qui seront leurs jouets. Mais c'est bien Richard qui ressort comme le personnage central de cette saga. En brossant le portrait d'un homme obnubilé par son ressentiment envers Henri Tudor, doutant de la sincérité de ceux qui l'entourent autant que de sa capacité à retrouver son rang, Alain Ayroles se rapproche de sa représentation shakespearienne, via la pièce que le dramaturge lui consacra. Le découpage en actes et en scènes - et non en chapitres - rappelle également cette filiation. Intrigues et retournements de veste jalonnent les luttes de pouvoir tandis que chantages ou appât du gain sont autant de ressorts qui guident les pas des protagonistes. Face au bossu, difficile pour eux de tirer leur épingle du jeu. C'est peut-être le seul défaut de ce titre, hormis le Groenland, la route de Richard ne lui offre que peu de personnages à sa hauteur.

À la fois uchronie centrée sur Richard III et saga nordique sur la violence des Hommes et la soif de pouvoir de l'un d'entre eux, la Terre Verte offre un grand moment de bande dessinée en plus d'entrer en résonance avec le contexte mondial actuel. Isabelle Merlet, Hervé Tanquerelle et Alain Ayroles proposent avec ce titre, une lecture passionnante autant qu'effrayante, pathétique autant que surprenante.