Dans les oubliettes de la République - Georges Ibrahim Abdallah
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n 1979 est créé un groupe armé marxiste et anti-impérialiste destiné à libérer le Liban de toute présence occidentale : les fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL). Cofondée par Georges Ibrahim Abdallah, l’organisation est une réaction à l’attaque du sud du Liban par l’armée israélienne, l’année précédente, laquelle avait donné lieu à la résolution 425 de l’ONU. Résolument anti-américaines, les FARL entreprennent assassinats ciblés et attentats. En 1984, à Lyon, Georges Ibrahim Abdallah est interpellé. Le 10 juillet 1986, il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité dans l’assassinat du lieutenant-colonel américain Charles R. Ray et d’Yacov Barsimentov, diplomate israélien. Quarante ans plus tard, Georges Ibrahim Abdallah est le plus ancien prisonnier politique d’Europe (connu en tout cas) et est toujours en attente d’un arrêté d’expulsion, condition fixée par les tribunaux français pour accepter sa libération*.
Pierre Carles est journaliste, auteur de nombreux films documentaires. Alors qu’il est en promotion d’Un berger et deux perchés à l'Élysée ? (reportage qui suit Jean Lassalle dans sa candidature à l’élection présidentielle de 2017), sa curiosité est de nouveau attirée sur l’affaire Georges Abdallah. De fil en aiguille, une vaste enquête est menée dans le but initial d’en faire un nouveau long métrage (Who wants Georges Ibrahim Abdallah in jail ?). C’est cette matière première qui est exploitée pour proposer une bande dessinée. Le propos est globalement intéressant et synthétise quatre décennies au cours desquelles le militant libanais est tombé aux oubliettes. Il interroge de manière pertinente la théorie de la raison d’État. Jusqu’où peut aller un État, quelles entorses au droit et à la morale (les deux notions sont très différentes) peut-il s’autoriser dans l’intérêt supérieur du maintien de sa souveraineté ? Privilégiant ses alliances stratégiques, cédant aux pressions extérieures au mépris même de la Convention européenne des droits de l’homme, la République française refuse, pour l’heure, de remettre en liberté le prisonnier.
L’album a donc ceci d’utile qu’il pose sur la table ces questionnements. Un peu malhabilement, toutefois, et avec une narration qui manque de fluidité. Longuet sur certains épisodes, le récit est expéditif sur d’autres. Au dessin, Malo Kerfriden ne démérite pas mais propose une approche assez froide. Si le trait réaliste semble une bonne option, le rendu s’avère trop statique et assez largement déshumanisé. Les arrière-plans parfois un peu ignorés ne contredisent pas ce sentiment général.
Malgré un sujet intéressant et en dépit de bonnes intentions perceptibles, Dans les oubliettes de la République est une lecture qui peine à être totalement convaincante. Dommage.
* À l’heure où ces lignes sont écrites, une nouvelle demande de libération est étudiée.
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5.0
