À ta mort, ce sera à moi À ta mort, ce sera à moi

Z erocalcare dit n’avoir pas dormi avant d’arriver à Shengal au fin fond de l’Irak (cf. No Sleep till Shengal), c’est un menteur. En effet, vue la taille de sa bibliographie, ça doit bien faire une dizaine d’années qu’il n’a pas trouvé le sommeil. Son blog initial, des voyages chez les Kurdes, les livres, le succès, pas moins de deux séries sur Netflix et moi et moi et moi.

Heureusement, la gloire et la richesse ne lui ont pas fait perdre le Nord. Dans À ta mort, ce sera à moi, il revient aux fondamentaux du blogueur dépressif et inquiet : c’est quoi toutes ces choses qui évoluent autour, alors que moi, je suis toujours le même ? Est-ce que ça ne viendrait pas de mon passé, un truc chelou durant de mon enfance, par exemple ? Ou alors, c’est la faute de mes parents (c’est toujours de la faute des parents), si je ne suis pas bien dans ma peau aujourd’hui ? Le téléphone sonne, qui ose m’appeler alors que je suis en pleine réflexion ? Allo ? Ah, c’est toi papa, youpi. Comment ça va ? Hein ? La maison de grand-père a subi une inondation, il faut y aller pour vérifier. Est-ce que je peux l’accompagner ? Deux jours au fin fond des Dolomites, coincé en compagnie de mon daron, sans internet ? Voyons voir… Oui, avec plaisir, tout ce que tu veux. C’est quoi mon problème ? Et le leur, d’abord ?

Tenez-le-vous pour dit, l’auteur de Kobane Calling est en forme et il a la rage. Comme d’habitude, certes, mais dans ce cas précis, celle-ci est plus balisée ou construite que précédemment. Un soupçon de réminiscence familiale filant sur plus d’un siècle, le récit de la dissolution du couple formé par sa mère et son père, le divorce qui s’ensuivit et ses conséquences sur le petit Ze’, quelques secrets bien enfouis (dont un avec une pirate), le tout sous le regard protecteur de Musclor et des Maîtres de l’Univers (sortez les mouchoirs, la boîte à nostalgie est grande ouverte), les propos et les engueulades font feu de tout bois. Ces sujets, déjà riches et intéressants, sont complétés par un autre niveau de doutes existentiels encore plus personnels. Pourquoi pas de petits-enfants ? Ne cessent de lui demander ses parents. À quarante ans, tu pourrais te poser et arrêter d’amasser des jouets (ce sont des objets de collection, combien de fois faudra-t-il le répéter ?). Regarde tes amis, ils ont tous fondé des familles. La route entre Rome et Merin en Vénétie est longue pour ce fils faussement indifférent aux siens.

Introspection sans fard en mode autobiographie explosive, À ta mort, ce sera à moi se révèle être une lecture d’une profondeur insoupçonnée. Les réflexions sur le temps qui passe, la paternité et les responsabilités (au sens large et figuré) s’avèrent aussi percutantes que révélatrices. Pour l’auteur, évidemment, mais pas seulement, loin de là. L’universalité des observations, le ressenti permanent, l’humour et l’énergie incroyable qui ressortent de l’ouvrage font qu’il est impossible de le reposer avant de l’avoir fini. Aucun doute, Zerocalcare n’est pas prêt de pouvoir profiter de nuits paisibles et réparatrices.

Moyenne des chroniqueurs
8.0