Peter Pan de Kensington
« Bah! C’est un adulte. Il a perdu son âme depuis longtemps. »
En 1911, James Matthew Barrie publie son plus célèbre roman : Peter Pan. Ce que peu de gens savent, c’est que le héros s’est présenté une dizaine d’années auparavant, dans Le petit oiseau blanc. Depuis un siècle, ce texte n’a jamais été adapté. Voilà qui est fait.
La nuit, le parc Kensington est interdit aux humains, alors que fées, gnomes et lutins prennent le relai. C’est dans cet espace onirique que s’égare Maimie Mannering. Les créatures nocturnes ne lui cachent pas leur hostilité. Peter Pan pourrait aisément la tirer du pétrin et la ramener à la maison ; il cherche plutôt à la convaincre de le suivre à Neverland, un pays où les mioches s’amusent toute la journée et ne vieillissent pas.
Il se passe finalement peu de choses dans ce conte, au demeurant assez court, où l’auteur distille un sombre propos. Un amalgame de merveilleux avec des personnages effrayants et une quête absurde. Le lecteur retient la noirceur de l’allégorie, laquelle s’éclaire tout de même de quelques segments humoristiques, notamment des farfadets rendant visite à leur reine.
Les profils psychologiques des protagonistes apparaissent particulièrement intéressants. Au premier chef, le garçon ; sous ses dehors amicaux, il tente de leurrer sa protégée, afin de la garder pour lui seul et ainsi briser sa solitude de jeune homme, mort de la variole et vivant dans une sorte de limbes. Maimie n’est pas en reste ; vers la fin de l’album, elle lui vole un baiser sur la bouche, comme si, dans un geste charnel, elle voulait l’attirer dans le monde des adultes… alors qu’elle n'a que six ans.
L’histoire se montre succincte ? Peu importe. José-Luis Munuera s’offre tout l’espace dont il a besoin pour s’exprimer à travers des cases, souvent très grandes, en forme d’invitation faite au bédéphile de s’arrêter et de se laisser imprégner d’une ambiance mystérieuse et presque glauque. Ses vues de Londres valent le détour. Enfin, le projet ne serait pas le même sans la colorisation de Sedyas. Son mélange de teintes froides et sombres donne toute leur ampleur aux dessins.
Un conte pour les enfants qui n’ont pas écouté les mises en garde… et qui ont fini par grandir.
8.0