Sisyphe - Le châtiment des dieux
L
’évocation du sort réservé à Sisyphe est peut-être une des plus fortes survivances de la mythologie antique. Un homme forcé à répéter infiniment la même corvée absurde, l’image est forte et aisément transférable à toutes les contrariétés ou boulot usant et aliénant. Évidemment, sous l’anecdote toute faite, il se cache une véritable histoire héroïque, mettant en scène humains et dieux aux prises avec une ou autres questions philosophiques fondamentales. Si Sisyphe s’est retrouvé dans le Tartare et a été condamné au supplice éternel, c’est qu’il y avait une ou plusieurs raisons à cela. Les locataires de l’Olympe se montrent souvent durs avec les mortels, mais ils sont toujours justes. Les braver ou tenter de les tromper n’est jamais sans conséquences.
Après deux tomes d’excellente facture, tant sur le fond que la forme, le duo formé de Serge Le Tendre et Frédéric Peynet s’attelle à une des figures les plus connues du catalogue antique. Qui est donc Sisyphe ? Habitant de Corinthe, un de ces fondateurs paraît-il, il est décrit comme le plus rusé des hommes. De rusé à habile négociateur prompt à exagérer lors d’échanges commerciaux, il n’y a qu’un pas que le scénariste n’hésite pas à franchir. Des remords ? Connaît pas, c’est la loi du business, autant alors qu’aujourd’hui. C’est comme ça, il y a toujours un gagnant et un perdant. Par contre, quand l’autre partie est de la famille de Zeus, il se peut que le plan ne se déroule pas sans accroc. C’est qu’ils sont tatillons et revanchards, ces dieux. Résultat, le héros va devoir passer un pacte terrible avec Hadès, s’il veut que son Glaucos, son fils, vive il devra "fournir" une âme par Lune jusqu’à la majorité de dernier. Mort après mort, Sisyphe apprend ce que sont le poids de la culpabilité et les conséquences de ses actes. À bout, il imaginera un ultime deal à sa façon pour se sauver lui et son fils. Ça sera le coup de trop et la vengeance divine se révélera terrible et définitive.
Comme dans Pygmalion et Astérios, le récit, tout en restant fidèle à son ancrage historique, modernise le propos et le rend facilement accessible et très parlant. Aux pinceaux, Peynet habille cette fable d’une splendide manière. Les planches, lumineuses en Grèce, sombres et froides dans les limbes, se détaillent avec beaucoup de plaisir. L’approche réaliste et le découpage sont très classiques, mais très vibrants et pleins de ressenti. Superbe galerie de personnages, quelques notes d’humour ici et là, particulièrement aux portes de l’Olympe, l’ensemble est sublimé par des cadrages bien pensés et admirablement réalisés.
Jolie collection en devenir, Dargaud Mythologies actualise sans déstructurer ni dénaturer des composants fondamentaux de la psyché occidentale. Les dieux n’ont pas menti : personne n’a oublié le nom de Sisyphe. Trois ou quatre milles an après, il est toujours là, à pousser son caillou en haut de la colline. Une très belle réussite.
7.3