Idéal

R oman psychologique aux allures de récit d’anticipation (ou l’inverse) nourri aux inquiétudes d’aujourd’hui, Idéal est un premier album enthousiasmant, tant par son contenu que sa réalisation graphique. Baptiste Chaubard et Thomas Hayman ont regardé vers le futur, 2160 pour être précis, et ont voyagé jusqu’au Japon afin d’y déposer une histoire mêlant peur du déclin et cybernétique. Un peu de politique identitaire et de romance enveloppent le tout. Le programme est ambitieux ? Oui, un peu trop par moments. D’un autre côté, avec une sonate de Chopin sur la platine et une tasse de gyokuro à portée de main, rien n’est jamais vraiment grave.

Après une magistrale introduction/mise en abîme de trente pages muettes, le lecteur fait connaissance avec Hélène, une pianiste virtuose française, mariée à Edo, un Japonais de bonne famille. Se remettant d’un grave accident, la musicienne doute de retrouver ses capacités un jour. Cette angoisse se transpose sur son couple où, les années s’ajoutant, la flamme de la passion est devenue flageolante. Résidant sur Kino, une petite île isolée, ils ne prêtent pas vraiment l’oreille aux bruits venant de la capitale. Pourtant, les ultra-conservateurs sont sur le point de voter une loi nationaliste proposant de fermer l’archipel nippon aux étrangers. Cette nouvelle donne pourrait coûter son poste à Hélène. En attendant de trouver mieux, cette dernière en vient à penser qu’acheter un sosie-androïde, machine pourtant interdite sur l’île, pourrait régler une partie de ses problèmes. Peu importe ce que diront les gens, elle sera discrète et la bonne devra bien se taire si elle veut garder son travail.

Ce superbe portrait d’une femme entrant dans l’âge mûr tissé de sinueux et intimes chassés-croisés autour du désir se double d’une subtile et franche réflexion questionnant la modernité et des pertes sous-jacentes à la marche du progrès. Le scénario réussit la gageure de parfaitement traiter ces sujets, le tout sous la forme d’une véritable intrigue remplie de tensions et de surprises. L’imbrication des thématiques est remarquable et les personnages dotés de vraies personnalités riches et complexes. La qualité d’écriture de Baptiste Chaubard est à relever.

Visuellement, le résultat est également percutant. Avec une approche rappelant un peu celle de Lucas Harari, voire Thimoté Le Boucher dans un autre style, Thomas Hayman plonge le lecteur au sein d’un Japon immédiatement accessible et tangible. Même s’il n’évite pas quelques vues de cartes postales façon estampe traditionnelle, celles-ci permettent cependant de poser un univers et des références connues de tous. Une fois ces bases installées, le dessinateur développe une mise en scène sophistiquée alimentée par un art du cadrage certain. Petits détails et coups de zoom précis nourrissent cette fable dramatique, sans jamais l’alourdir ou l’étouffer. Il en découle des planches mêlant élégance, poésie et gravité. Impressionnant.

Gros coup de cœur pour Idéal. Malgré des propos profonds et passablement durs, les auteurs ont réussi à créer un album d’une grande légèreté doté d’un énorme capital d’empathie. Les différentes accroches avec notre époque épousent harmonieusement le côté SF du projet et rendent la lecture aussi prenante que prégnante. Au pire, si ça ne passe toujours pas, il est toujours possible de remplacer Chopin par le Wagakki Band et votre thé avec un verre de Yamazaki douze ans d’âge. Une nouvelle découverte/réussite de la part des éditions Sarbacane.

Moyenne des chroniqueurs
8.0