Akumakun 1. L'enfant qui parlait aux démons

L e prolifique maître du Yokai manga, Shigeru Mizuki, a donné naissance à plusieurs héros dont certains restaient méconnus, leurs aventures n'ayant pas encore atteint le public francophone. Depuis plusieurs années, les éditions Cornélius tentent de palier cela. En ce mitan d'année 2024, soit soixante et un an après sa sortie au Japon, voici enfin dans la langue de Molière, le premier tome d'une courte série attachante : Akumakun, l'enfant qui parlait aux démons.

Un Faust vieillissant se traine le long des routes japonaises. Après presque trois cents années de recherche, il pense avoir touché au but de sa quête : trouver l'élu à qui confier son savoir et son rêve. En effet, une légende raconte qu’une fois tous les dix mille ans, un être capable d'invoquer les plus puissants des démons naîtra. Grâce à ses prédispositions envers les écritures anciennes, il pourrait user de magie afin d'apporter le bonheur sur terre en utilisant les créatures en cette fin. Shingo Yamada est un garçon malin et passionné par l'occulte et le surnaturel, tant et si bien que ses amis l’ont surnommé Akuma-kun (petit diable). Or, il se trouve être celui que le docteur recherche. Les deux se rencontrent et partagent le même rêve : créer un monde où chacun vivrait heureux. Néanmoins, pactiser avec Méphisto ne va pas être une partie de plaisir pour Shingo et ses amis.

Cette série courte est un ravissement. Après deux courts chapitres de présentation réussis, où Faust parvient à invoquer le Diable et à confier la flûte de Salomon au garçon avant de mourir, l'histoire gagne en intensité avec la patte du scénariste qui aime l'humour. En effet, il use de maints stratagèmes pour créer des moments de tensions comportant des cases prêtant à rire, ne serait-ce que lorsque le diable lance ses pouvoirs tel un personnage sorti d'Ultraman. L'invoqué tente inlassablement de se débarrasser de Shingo, mais ce dernier parvient non sans mal à ses fins. Au fur et à mesure de l’avancée du récit, le duo principal se voit rejoint par des protagonistes secondaires forts. Ceux-ci forment autant de ressorts pour faire évoluer le cours de l'histoire. D'ailleurs, lors du premier chapitre, Shigeru Mizuki s'autorise un petit clin d’œil en incorporant, le temps d'une paire de cases, deux de ses illustres créatures. Les otaku habitués de son travail retrouvent avec plaisir l'ambiance douce, amusante et bourrée d'aventure et de Yokai que seul cet artiste arrivait à produire. Tout en se permettant, avec malice et son esprit taquin, de brocarder ce qui ne lui plaisait pas dans la société des Trente glorieuses comme l'inégalité, la défiance, la modernité ou encore le rejet de ce qui est différent. De fait, cette série est lisible par un large panel de bédéphiles.

Le style graphique du mangaka est toujours aussi plaisant. Ces personnages humains tout en rondeurs, style très à la mode dans les années 1960, sont tantôt attachants, tantôt grotesques en fonction de l'évolution du scénario. Le dessinateur s'amuse à insérer des personnages issus du folklore européen en usant alors d'un style très réaliste, générant ainsi un décalage avec ses personnages principaux. Bien sûr, comme à son habitude, il livre une galerie impressionnante de créatures née de son imagination fertile combinée avec l'imagerie nippone traditionnelle.

Publiées à partir de 1966, les péripéties de Shingo et de Méphisto débarquent enfin, après avoir été invoquées par ces diablotins de chez Cornélius, pour le bonheur des fans du génial et regretté Mizuki-sama.

Moyenne des chroniqueurs
8.0