Chroniques du grand domaine

L ili Sohn habite le Grand Domaine, sur le boulevard des Dames à Marseille, avec Martin, son conjoint, ses enfants et avec une galerie de personnages originaux et fascinants : Gula, Jean-Robert, François, Claire...

Très vite, elle a ressenti que cet endroit n'était pas tout à fait comme les autres. Il possède sa propre histoire. Il est aussi traversé d'histoires en tous genres, qui mêlent aussi bien la petite et la grande. Son existence est indissociable de celle de Marseille, mais aussi de la Méditerranée, voire de l'Humanité tout entière. Depuis sa construction, son affectation a changé plusieurs fois. Il a servi successivement de bâtiment de stockage pour les pains de sucre, puis de siège de nombreux ateliers de fabricants de chaussures, de lieu d'habitation, de militantisme, d'atelier d'artiste et parfois un peu tout en même temps. De nature essentiellement populaire, il commence pourtant à céder aux sirènes de la gentrification. Le Grand Domaine n'est pas qu'un tas de briques. C'est une entité qui vibre, joyeuse, chaotique, bruyante, parfois violente.

Pour l'autrice, c'est presque une évidence. Elle doit en savoir plus sur ce lieu. Elle se lance dans une vaste enquête qui l'amène à s'interroger sur l'origine de la cité phocéenne, de son développement, de son rapport à la mer, des multiples vagues de migration qui l'ont peuplée au fil des siècles...

Ce projet sert aussi de prétexte pour composer une enquête sociologique, allant à la rencontre des gens qui y vivent ou y ont vécu et, à travers eux, du bouillonnement perpétuel qui agite ce quartier, entre pittoresque, engagement social, associatif et culturel. Ces tranches de vie donnent un aperçu chaleureux d'une réalité joyeuse et foisonnante où la solidarité veut encore dire quelque chose. Au fil des destins, c'est une mosaïque colorée et bruyante qui se dessine. Mais l'ensemble reste insaisissable, bien dissimulé quelque part entre ouï-dire, potins, confidences teintées de mauvaise foi, légendes. Les zones d'ombre restent nombreuses, telle l'hypothétique existence d'une rue souterraine ou d'un appartement qui aurait abrité un club échangiste... Les multiples recherches et témoignages ont donné matière à cette bande dessinée, joyeusement bordélique, ainsi qu'à un podcast, qui donnent à découvrir un peu de l'atmosphère si particulière de ce vaste édifice et à ses habitants.

Le lecteur en ressort avec l'impression d'avoir un instant posé ses bagages dans une communauté humaine turbulente et attachante. Sans doute était-ce la principale ambition de Lili Sohn. Elle a atteint son objectif.

Moyenne des chroniqueurs
7.0