Les compagnons de la Libération 10. Grenoble

D urant la Seconde Guerre mondiale, des lieux ont été marqués par l'activité des « groupes francs » face au gouvernement collaborateur connu sous le nom d’État de Vichy. La résistance grenobloise nuit fortement à l'effort de guerre des Allemands, tant et si bien que ceux-ci ripostent crescendo. Ne pas plier, tenir et continuer le combat, tel fut le crédo de ces Grenobloises et Grenoblois qui firent le choix du triple refus : celui de la défaite, celui de l'occupation, celui de la collaboration. Et ceci quitte à en payer le prix fort.

Après avoir consacré un tome à l'île de Sein et à Vassieux-en-Vercors, l'historien Jean-Yves le Naour propose aux bédéphiles désirant (re)découvrir les évènements en lien avec la résistance dans la ville de Grenoble. Désormais rompu aux codes du neuvième art, l'universitaire parvient à trouver l'équilibre entre le trop et le pas assez, autrement dit entre la vulgarisation de qualité et les exigences de la science historique. Pour cet épisode, le scénariste utilise la technique du flash-back à travers le récit d'un ancien résistant recevant les visites d'une collégienne qui doit faire un exposé.

Les allers-retours entre le passé et le présent cassent un déroulé chronologique qui aurait été fastidieux et trop scolaire pour créer un dynamique propre au récit d'enquête. Comme beaucoup adolescents, Inès ne trouve rien de palpitant aux sciences humaines et considère son devoir comme une corvée. La première rencontre avec Marcel dans son EPHAD va l'amener à faire preuve de curiosité vis-à-vis de son aîné et de son passé. L'utilisation du duo intergénérationnel permet aux plus jeunes de s'identifier pour mieux entrer dans le récit, durant lequel l'auteur parvient à glisser quelques respirations humoristiques comme avec le running gag du "Dors Raymond, dors !" Cela n'empêche en rien la rigueur des informations, forts nombreuses. Grenoble a été le théâtre de la lutte féroce entre la milice et les FFI-FTP, et les détails et personnes sont nombreux.

Parmi les événements présentés, la rafle des Juifs du 26 août 1942. Organisée par le gouvernement de Vichy, l'arrestation de dix mille cinquante personnes est moins connue que celle ayant eu lieu à Paris. Au passage, l'historien tisse des liens avec les précédents albums en montrant que la veille de l'évènement, quelques policiers ont prévenu certaines des futures victimes leur permettant d'être évacuées et cachées auprès d'un résistant connu sous le nom d’Abbé Pierre. La ville fut aussi le lieu de l'affrontement entre l'armée de l'ombre et les cadres du Parti Populaire Français, cela passant par des assassinats au fur et à mesure de la progression du conflit. Le nombre de faits évoqués et expliqués est impressionnant.

En 2019, Philippe Tarral avait déjà collaboré avec Jean-Yves Le Naour dans cette collection, sur l'album consacré à Pierre Mesmer. Le duo se reforme et se complète de belle manière. L'approche classique du dessinateur peut séduire un lectorat adulte, mais l'artiste sait insuffler du dynamisme dans ses planches lors des scènes de combats. L'ensemble est réhaussé par le travail du coloriste, Fabien Blanchot, qui use du sépia lors de scènes explicatives, puis d'une gamme plus chaude pour le présent.

En cette année commémorant la libération de la France, cet album consacré à Grenoble trouve une résonance encore plus forte. De manière générale, cette série doit être lue et reconnue d'utilité publique.

Moyenne des chroniqueurs
7.0