Spirou et Fantasio - Classique (Les aventures de) 1. La baie des cochons

D ans le Spirouverse, je demande la déclinaison "classique".

Cette nouvelle collection, initiée à son insu par le succès inattendu du Spirou chez les Soviets de Tarrin et Neidhardt, se réclame de l'âge d'or du personnage, à savoir la version de Franquin. La maquette reproduit fidèlement celle des albums des années soixante. La composition de la couverture mélange celle du Gorille a bonne mine et du Prisonnier de Bouddha. Le personnage de Longplaying, issu de ce dernier titre, joue d'ailleurs un rôle central dans cette nouvelle aventure.

Tous les marqueurs sont présents, indubitablement. Pourtant, le titre lui-même introduit une originalité, voulue par les auteurs pour se démarquer un peu de leur glorieux modèle.

La baie des cochons renvoie bien sûr à la tentative avortée de débarquement des américains à Cuba. Cette intrusion de la géopolitique, même détournée à des fins humoristiques, se révèle malheureusement être une fausse bonne idée. Spirou n'a jamais été une série réaliste. la Palombie et Bretzelburg sont des états imaginaires qui, certes, peuvent rappeler quelques pays existants, mais sans qu'il y ait pour autant une volonté d'aborder l'actualité de manière frontale. Tintin était de ce point de vue plus en phase avec son époque, là où Spirou a toujours fait le choix de la fantaisie, mais sans jamais tomber dans la niaiserie. Comment intégrer des personnages réels aussi chargés d'histoire (et aussi clivants) que Che Guevara et Fidel Castro dans un contexte humoristique ? Cette intrusion du réel ne fonctionne jamais vraiment. Les auteurs semblent avoir du mal entre une représentation purement caricaturale, quitte à perdre l'essence du personnage, ou conserver une petite part de réalisme, quitte à perdre le potentiel comique de certaines scènes.

De plus, l'ombre du génial Franquin est trop écrasante. Si Elric tient plutôt bien Spirou et Fantasio, les autres personnages manquent souvent de dynamisme. Les arrière-plans manquent souvent de détails et de vie. Il suffit de se rappeler de la masterclass délivrée à Jannin dans Arnest Ringard pour prendre conscience de tous les petits défauts qui font perdre l'efficacité au dessin. Il s'agit parfois d'un trait, d'un décalage de quelques degrés, mais c'est dans ce petit rien que se loge la magie. La principale leçon que l'on peut tirer de cet album, c'est que ces chefs d'œuvre que son Le dictateur et le Champignon, L'ombre du Z, QRN sur Bretzelburg... représentaient autant de petits miracles tant grâce à l'enchainement implacable des péripéties et de l'humour que du pur génie d'André Franquin. Personne ne peut rivaliser, tout simplement.

Il n'est pourtant absolument pas question de dénigrer sans appel le travail d'Elric, Lemoine et Baril. Ils ont tenté, que ce soit par le dessin ou le scénario, de faire revivre quelques instants les meilleurs moments de Spirou. Ils l'ont fait avec respect, sincérité et beaucoup de cœur. Certaines idées fonctionnent d'ailleurs plutôt bien. Le style de Marcinelle est bien présent, même s'il relève plus d'un bon Attanasio. La polémique liée à la reprise de Gaston par Delaf aura aussi sans doute accentué un certain esprit de défiance envers quiconque tente de "faire du Franquin", ambition clairement suggérée par l'habillage et la communication de l'éditeur. Si La baie des cochons avait été vendue comme un "Vu par...", il aurait sans doute été considéré avec plus de bienveillance. Il convient juste d'admettre que ce premier essai souffre de quelques approximations et de mauvais choix. Un autre titre est d'ores et déjà annoncé pour les mêmes auteurs, ressuscitant les zorglhommes. Gageons qu'il pourront ajuster le tir et se rapprocher un peu plus de l'esprit qui rendait cette série exceptionnelle.

Moyenne des chroniqueurs
4.8