American Parano 1. Black House

S an Francisco, 1967. Kimberley Tyler est recrutée comme policière. La jeune femme suit les traces de son père récemment décédé. Avec le lieutenant Ulysse Ford, elle se penche sur le meurtre d’une étudiante retrouvée nue avec une marque cabalistique gravée au couteau sur le ventre. L’investigation les conduit à Baron Yeval, un escroc, fondateur de l’Église de Satan. Son partenaire étant victime d’un infarctus, elle affronte seule le gourou ; ce dernier devine son mal-être et tente de la manipuler.

Avec American Parano, Hervey Bourhis signe un authentique polar avec flics désabusés, héroïne tourmentée et méchant charismatique. Il fait le choix d’aller droit au but ; l’enjeu n’est pas tant de démasquer le coupable, mais plutôt de révéler le duel auquel se livrent la représentante de la loi et le criminel. Cela dit, rien n’assure que l’accusé soit véritablement le meurtrier.

Le mentor de l’enquêtrice se montre absent dans toute la deuxième partie de l’album et personne ne se plaint de la mise à l’écart de ce personnage banal et stéréotypé. Il était en effet judicieux de congédier le poivrot pour insister sur la recrue et la joute oratoire l’opposant au manipulateur.

Le scénariste propose du reste une véritable plongée dans un lieu et une époque qu’il exprime dans une multitude de détails alimentaires, vestimentaires et surtout sociaux, notamment les premiers pas des revendications féminines pour obtenir une juste place dans la société et la résistance des hommes confortables avec leur misogynie. L’auteur a même concocté une liste de chansons (sur Spotify, accessible à l’aide d’un code QR) à écouter pendant la lecture du livre : au menu Jefferson Airplane, les Turtles… et Tony Bennett, qui, comme tous le savent, a laissé son cœur à San Francisco.

Derrière l’enquête se cache une quête, celle du paternel de la protagoniste, lequel se serait suicidé ; il y a fort à parier que cette recherche fera office de fil conducteur entre les différents tomes de cette série.

Lucas Varela présente un dessin semi-réaliste, par moments naïf. Le trait, d’inspiration ligne claire, apparaît dépouillé et élégant, un peu comme celui d’Antonio Lapone (Gentlemind, Greenwich Village). L’artiste installe quelques éléments de décor, juste ce qu’il faut pour situer l’action. L’illustrateur se tient loin des clichés, les hippies et les tramways s’attaquant courageusement aux rues escarpées sont ainsi peu nombreux.

En pleine ère du peace & love, le lecteur se serait attendu à une mise en couleurs éclatante ; il n’en est rien puisque les teintes alternent entre un orange rosé et un gris bleu, auxquels s’ajoute beaucoup de noir. Ce choix traduit bien le ton rétro que les bédéistes souhaitent donner au projet.

Une intrigue agréable et un personnage qui a du potentiel. Le scénariste annonce d’ailleurs qu’une fois le diptyque terminé, il convoque son actrice à New York, un an plus tard. C’est une bonne nouvelle.

Moyenne des chroniqueurs
6.5