Alan Turing

U niversité de Cambridge, début des années 1930, Alan Turing, esprit brillant, quoique tire-au-flanc, désespère ses professeurs. Lorsqu’il rencontre Chris, un collègue de classe, se noue une complicité fusionnelle. Celle-ci anime le scientifique, même après la mort de son camarade, alors qu’il est encore tout jeune. Le mathématicien est recruté par les services secrets pour lesquels il perce le code utilisé par les Allemands. En 1954, il est condamné pour perversion sexuelle ; il se suicide deux ans plus tard. Aujourd’hui encore, il y a consensus pour dire que ses travaux constituent les bases de l’informatique.

Le journaliste Maxence Collin et le scénariste François Rivière articulent avec beaucoup d’habileté ce récit où le souvenir d’un amour et l’ivresse de la connaissance s’amalgament en une fascinante pulsion de vie. Dans cet album copieux, les auteurs prennent tout leur temps pour présenter l’intimité du personnage et ce n’est qu’après une centaine de pages qu’ils entreprennent de raconter la carrière l’ayant rendu célèbre. Rompant avec la linéarité, ils entrecoupent leur histoire de séquences du procès. La narration est, du reste, ponctuée de motifs récurrents (peluche, figurine tenant à bout de bras un ballon de plage, navire, etc.) ; au départ déroutants (voire codés), ces rêves finissent par éclairer la psyché du héros.

Au final, la boucle est bouclée. L’homme a été éveillé par une passion amoureuse platonique et inavouée. À l’autre bout de son chemin, une liaison, charnelle et sans réelle importance, cause sa perte. Le scientifique se donne la mort en croquant le fruit défendu, qu’il a au préalable imbibé de cyanure. Voilà une fin spectaculaire, propre à enflammer les imaginations.

Le propos est bien servi par le trait charbonneux d’Aleksi Cavaillez. Mettant en scène des acteurs qui jouent toujours juste, l’artiste capte l’essence d’un parcours se déroulant sous le signe de l’amour et de l’amitié. La composition se montre dans l’ensemble conventionnelle, à deux exceptions près. D’abord, les segments oniriques, lesquelles renferment les clefs du récit ; ces planches, muettes, semblent désordonnées… comme un message crypté. Ensuite, les séquences didactiques, lorsque le protagoniste explique les principes de la cryptographie. Il est loin d’être certain que le lecteur comprenne vraiment le fonctionnement des rotors et réflecteurs au cœur de la machine Enigma ; ces pages, toutes en arabesques, affichent une belle élégance.

La vie d’Alan Turing est un roman ; les bédéistes l’ont compris et en ont tiré une biographie de grande qualité.

Moyenne des chroniqueurs
7.5