Petit pays

P ourquoi les Tutsis et les Hutus se font la guerre ?

Ils parlent pourtant la même langue, partagent le même territoire et prient le même dieu. Mais ils n'ont pas le même nez.

Gaby et Ana se satisfont de cette explication assez étrange. Ils se sentent bien loin des tensions qui mettent le Rwanda sous pression. Eux sont à l'abri, à Bujumbura, capitale du Burundi voisin. Ils vivent dans une belle maison au fond d'une impasse entre leur père français, Michel, et leur mère rwandaise, Yvonne, qui a fui une précédente vague de massacres. Ils profitent encore de l'insouciance de leur enfance. Pour combien de temps encore ? Déjà, à l'école, des bagarres éclatent entre des gamins au seul prétexte qu'ils ne sont pas de la même ethnie. Puis, il y a la famille restée à Kigali : Tante Eusébie et Tonton Pacifique. Sont-ils en sécurité ?

Dans ce récit à résonance autobiographique, Gaël Faye avait signé un roman poignant sur la fin de l'enfance. Récompensé du prix Goncourt des lycéens et énorme succès de librairie, ce texte fort et bouleversant exigeait une équipe à la hauteur pour l'adapter en bandes dessinées. L'écrivain lui-même a choisi Marzena Sowa et Sylvain Savoia, séduit par Les esclaves oubliés de Tromelin et Marzi, et les a accompagnés lors de la genèse de ce projet, tout en leur laissant une grande liberté dans leur travail. Force est de constater que les auteurs ont parfaitement capté l'essence de l'œuvre originale et en respectent l'esprit. La représentation de l'Afrique évite l'écueil de la carte postale et propose une vision très réaliste, à la fois chaleureuse et lumineuse. Mais lorsqu'il s'agit d'aborder les passages les plus durs, les planches parviennent à suggérer l'innommable sans le montrer et sans l'édulcorer. C'est aussi grâce au scénario qui parvient à traduire toute l'humanité des protagonistes et à décrire cette lente agonie d'une époque.

Petit Pays n'est pas une histoire du génocide. C'est un récit initiatique dans lequel cette tragédie joue un rôle effrayant. C'est pourquoi le livre a tellement touché les lecteurs. Et c'est également la raison pour laquelle ce roman graphique sera certainement l'un des titres marquants de cette année.

Moyenne des chroniqueurs
8.2