Emmie Arbel. La couleur du souvenir

L e devoir de mémoire est plus que jamais indispensable. Ne pas oublier permet de ne pas reproduire, et surtout de comprendre.

L'Humanité semble ne jamais apprendre de ses erreurs et l'amnésie la guette souvent, la condamnant à répéter les mêmes horreurs, à quelques variations près. C'est pourquoi il est essentiel de conserver les souvenirs des gens, quelles que soient leur histoire et leur origine. C'est d'autant plus vrai lorsqu'ils ont été les témoins de la folie des hommes.

Parfois, les souvenirs se dérobent. Si certaines périodes apparaissent limpides, d'autres restent noyées dans un brouillard opaque. Pour Emmie Arbel, certaines phases de sa vie restent floues, envahies d'ombres et de ténèbres. Ce sont ses années d'enfance, fracassées par la guerre, la déportation, la perte de sa famille et les abus. Puis, le temps a progressivement repris son cours. La jeune fille a repris une existence somme toute banale : une installation avec sa famille adoptive en Israël, une adolescence dans les kibboutz puis une vie marquée par une indépendance féroce et un intense besoin de liberté.

Voilà ce qu'a raconté Emmie Arbel à Barbara Yelin, au fil de rencontres étalées sur quatre années. Refusant de se conformer à une chronologie commode, l'autrice déroule son récit au hasard des souvenirs, ravivés au fil d'une conversation. Si les anecdotes relatives à l'Holocauste occupent une place importante, il serait pourtant réducteur de limiter l'intérêt de cet album à un récit de plus sur la Shoah. Son héroïne est bien plus qu'une survivante des camps. Cette tragédie a indéniablement marqué sa personnalité. Il n'est pourtant pas possible de la réduire à sa seule qualité de victime de la barbarie nazie. Son parcours est celui d'une femme forte et résiliente qui a mené une existence bien remplie. Elle ne se contente pas des rôles assignés de mère et épouse auxquels son genre et la société la condamnent. C'est une rebelle, drôle et butée.

S'il fallait trouver un fil conducteur à cette biographie, ce serait la couleur. Son utilisation par l'autrice allemande se révèle très élaborée. Elle joue un rôle narratif à part entière, jusque dans le choix des teintes des cartouches de voix off. Les jeux d'ombre et de lumière éclairent subtilement les différentes époques, depuis la pénombre cauchemardesque de Ravnesbrück jusqu'à la clarté rassurante des jours heureux. Pourtant, ce récit peine souvent à toucher durablement. Malgré un sujet fort et une approche visuelle intelligente, la narration parfois kaléidoscopique et détachée semble survoler les tranches de vie, sans jamais les approfondir. Il en ressort un sentiment de superficialité. L'émotion est à la porte, mais cette dernière ne s'ouvre que partiellement. Quelques séquences fortes surnagent. L'ensemble reste malheureusement trop fade et il est difficile de se laisser emporter par le destin d'Emmie Arbel, à la différence de ce qu'a si admirablement réussi Emmanuel Guibert avec sa biographie d'Allan Ingram Cope.

Moyenne des chroniqueurs
7.0