Murena 12. Mort d'un sage

V oilà bien longtemps que personne n’avait vu Lucius Murena dans les rues de Rome. Emmené à Baiae, pris dans les filets de Lemuria, l’essentiel de ses souvenirs lui faisaient défaut, perdus dans les vapeurs des drogues qui lui étaient administrées. Tout cela est du passé pour le jeune homme, de retour au palais et aux côtés de César. Mais ce retour en grâce n’est pas du goût de tout le monde et déplaît particulièrement à Tigelin, homme ambitieux et sans scrupule qui jouit de toujours plus de pouvoir. Devenu une véritable éminence grise de l’empire, il voit également d’un mauvais œil l’arrivée d’une femme intrigante, surnommée « l’Hydre », qui semble exercer un effet particulier sur Néron. Ce dernier, quant à lui, est chaque jour davantage pris par la peur et par l’obsession des complots dirigés contre lui…

Il y a vingt-sept ans, débutait la grande série Murena. Bien des évènements se sont passés depuis : de l’arrivée au pouvoir de Néron à l’incendie de Rome de 64, en passant par l’assassinat de l’impératrice Agrippine. Avec ce douzième tome s’achève le troisième cycle, dit des complots, avec en point d’orgue le suicide forcé de Sénèque, ancien précepteur de l’empereur (il ne s’agit point là de divulgâcher quoi que ce soit, c’est dans le titre : Mort d’un sage). Un constat s’impose : la recette fonctionne toujours à merveille ! L’œuvre n’est évidemment pas un travail d’historien et Jean Dufaux se garde bien de revendiquer un tel statut. Elle est toutefois assise sur des fondements historiques tellement maitrisés et documentés que chacun des évènements, aussi fictif soit-il, semble plausible sinon véridique. Le résultat ? Un péplum toujours passionnant, truffé de rebondissements et profondément axé sur l’humain.

Dans ce nouvel opus, le scénariste poursuit la relation ambiguë d’amis-ennemis entre les deux protagonistes principaux. Il met surtout en scène Néron hanté par ses démons et qui sombre peu à peu dans la folie. Loin du cliché du fou impitoyable et tyran (étiquette qui lui est, un peu hâtivement, parfois collée), César est montré pétri par ses fragilités et par les influences, souvent malintentionnées, qu’il subit. Ce dernier volet est, encore une fois, construit avec minutie et propose de nombreuses péripéties. Il met également en scène une forme de jusqu’au-boutisme effroyable et souligne à quel point la nature humaine peut être cynique et animée par la seule soif de défendre ses intérêts personnels. C’est, au fond, la grande thématique abordée par l’auteur depuis plus d’un quart de siècle : le pouvoir et ses excès.

Poursuivre Murena après la disparition de Philippe Delaby n’était pas chose aisée, tant le dessinateur avait posé son empreinte sur les personnages et marqué de tout son talent les neuf premiers volumes. S’y atteler constituait donc un réel défi. Théo l’a relevé et livre, ici, ce qui est probablement sa partition la plus aboutie sur la série. L’artiste a définitivement mis de côté les mises en page ou découpages plus ou moins originaux mais qui ne s’avéraient pas vraiment indispensables, particulièrement utilisés dans Le banquet. Il a aussi pris soin de gommer une tendance à un excès de fioritures. Captant l’essence même de ce qui a forgé le succès de la saga, il a su mettre son trait réaliste au service de l’efficacité narrative. Tenant plus solidement, et avec plus de constance, les traits de chacun des personnages, il parvient à multiplier les émotions et à immerger le lecteur, bien aidé par les couleurs subtiles de Lorenzo Pieri.

La Rome sous Néron, ses ruelles sombres, ses jeux de pouvoir, ses complots et ses liaisons amoureuses, ont encore bien des secrets à révéler sous la plume de Jean Dufaux. De quoi ravir les bédéphiles, à l’aube du quatrième et dernier cycle.

Moyenne des chroniqueurs
8.0