In limbo

E n entrant au lycée, la jeune Jung-Jin, qui préfère être appelée Deborah, comprend rapidement que les quatre années* qui l'y attendent risquent d'être parmi les plus dures de sa vie. Difficile de trouver sa place lorsque les notes ne suivent pas, que son physique ne répond pas aux critères les plus répandus ou que les doutes sur sa passion naissent. Mais Deb est une battante et mettra tout en œuvre pour ne pas décevoir ses parents et notamment sa mère.

Publié par les éditions Akiléos, In Limbo est le premier album traduit (par Léana Félix) en français de Deb JJ Lee. Auréolé d'une jolie réputation (récompensé par le prix Ignatz du nouveau talent prometteur 2023), ce titre raconte une partie de la vie de son auteur·rice. Et pas n'importe laquelle puisque cette période forgera son parcours artistique et son orientation vers l'illustration. En suivant l'arrivée au lycée de Deb, le personnage principal, le lectorat découvre une jeune immigrée coréenne en proie à un double malaise. D'une part, l'acculturation vis-à-vis de son pays d'origine, notamment par l'oubli de sa langue natale et ses difficultés à la réapprendre. D'autre part, le poids du regard des autres face à ses différences physiques et le racisme ordinaire. Cet aspect est d'ailleurs d'autant plus marquant qu'il est présent dès sa prime enfance et qu'il vient s'additionner aux complexes que les adolescents nourrissent facilement à cet âge. Mais, au-delà de ces thèmes qui pourraient être considérés comme classiques, Deb JJ Lee aborde également des sujets forts tels que la santé mentale et la maltraitance de la part de leur** mère.

En plus de ne pas réussir à se faire de nouveaux amis et de remettre en question sa passion pour le violon, l'héroïne doit faire face à la pression maternelle constante. Ses notes, son investissement dans le travail, son futur emploi... Si ses parents, surtout sa mère, ne brident pas sa curiosité ni son esprit créatif, pour cette dernière, le moindre échec ou le simple laisser-aller sont intolérables. Devant les hésitations de sa progéniture, les dérapages verbaux puis physiques apparaissent et se font de plus en plus fréquents jusqu'à aggraver considérablement la confusion et le malaise de la jeune femme. La mise en scène de cette montée en tension est parfaitement réalisée. S'appuyant sur un trait semi-réaliste et des planches en gris-bleu-blanc, l'auteur·rice offre une jolie prestation. Son découpage, avec l'insertion de séquences en flashback, s'avère abouti et parvient à faire oublier les légers manques de fluidité. Enfin, la justesse des dialogues et la sincérité qui se dégagent des scènes avec ses copines, Kate et Quinn, ou sa famille, son frère Brad, ses parents et sa grand-mère rendent d'autant plus attachants cette recherche d'amitié et d'amour.

Touchant, In Limbo est un récit intimiste raconté avec pudeur et finesse. C'est aussi et surtout un témoignage fort sur la difficulté à trouver sa place, sa voie à une période de la vie où les différences sont considérées comme des défauts. D'autant plus lorsque la pression sociale comme familiale viennent s'ajouter et amplifient la situation.

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* : Aux États-Unis, le lycée se déroule sur quatre ans.
La troisième en France correspond à la première année, la classe de Terminale, à la quatrième année.
** : Deb JJ Lee indique dans la bio sur son site : « my pronouns are they/them ».

Moyenne des chroniqueurs
7.0