Le dieu-fauve Le Dieu-Fauve

A lors qu'il rêve de prouver sa valeur à son clan et, peut-être, en prendre la tête, Sans-Voix voit sa vie basculer le jour où lui et les siens croisent la route de la plus grande menace du monde : les humains. Enlevé par une caravane en route pour des obsèques impériales, le jeune singe va vivre un enfer. Éduqué dans les coups, la souffrance et la crainte, il n'aspire qu'à retrouver sa liberté. Mais, au fond de sa cage ou dans une arène, ses possibilités sont limitées malgré une rage qui ne fait que croître...

2024 est décidément un millésime prolifique pour Fabien Vehlmann. Après le retour de sa série fétiche Seuls (avec Bruno Gazzoti aux dessins et Usagi aux couleurs), puis le premier tome de La cuisine des Ogres (dessins et couleurs de Jean-Baptiste Andréae), le scénariste s'associe au dessinateur Roger (connu notamment grâce à la série Jazz Maynard) pour son troisième album de l'année. Ensemble, ils s'essaient à un genre qu'ils n'ont jamais exploré : l'heroïc-fantasy. Que les puristes rangent leur fourche. Malgré l'absence de magie, de nains ou d'elfe, les auteurs construisent bien un monde imaginaire, où le personnage principal va poursuivre, coûte que coûte, sa quête de vengeance. Seulement ? Non, cela serait trop simple, trop attendu voire trop facile.

Fabien Vehlmann part donc des stéréotypes du genre pour en prendre le contre-pied et surprendre. Dans ce récit choral, découpé en quatre chapitres pour autant de narrateurs, il entraîne son lectorat dans le sillage de destins qui se croisent, s'entrechoquent et se fracassent. Plongés au milieu d'un monde au bord du précipice, frappé par une apocalypse qui a fait chavirer tous les repères, toutes les règles et a bouleversé l'ordre social, les lecteurs découvrent les rapports qui régissent cette civilisation à l'agonie. Superbement mise en image par Roger, la violence - celle entre animaux, celle des hommes entre eux ou envers les bêtes ou encore celle de la nature - en est l'élément central.

Qu'elle soit subie ou volontaire, défensive ou assumée voire revendiquée, elle gouverne les interactions entre les personnages et impulse le tempo. Le trait dynamique et l'encrage caractéristique de l’artiste espagnol collent parfaitement au rythme nerveux et exacerbe l'urgence et la tension qui se transpirent de cette histoire. Grâce à sa mise en scène au cordeau, alternant entre scènes de combats et séquences plus introspectives, il se dégage des quelque cent douze planches une sensation de fin des temps. Les questionnements de chacun des quatre narrateurs internes sont mis en relief par une voix off omniprésente. Très bien utilisée, elle amène le lectorat à changer de point de vue pour mieux ressentir les doutes et les émotions. De plus, ces récitatifs envoûtants permettent de dépeindre les motivations des protagonistes - sans les dédouaner ni les excuser - et d'étoffer leurs psychologies contribuant, comme le dessin de Roger, à les rendre d'autant plus vivants.

Sombre et cruel, Le Dieu-fauve est une fable où la violence des Hommes et des animaux trouve son écho dans celle du monde où ils évoluent. Un voyage déstabilisant et prenant qui ne laissera pas indifférent.

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Moyenne des chroniqueurs
8.0