Bordeterre 1. Les âmes débordées

A u Camping des Flottiers, Ines et Tristan profitent de leurs vacances. Quelques plongeons dans la piscine et d’agréables promenades en bord de mer. Alors qu’ils rentrent en longeant les falaises, un gigantesque château apparaît devant eux, dans les nuages, semblable à un mirage. Partis à la recherche de Pégase, leur chien, Ines et son frère arrivent au bord du précipice. Là, le sol se dérobe peu à peu sous leurs pieds et entraîne leur chute… À leur réveil, la mémoire leur fait quelque peu défaut et ils ont une apparence transparente. Tout ceci est dû à leur débordement. Car sans le savoir, les deux jeunes gens sont passés dans un autre plan de l’univers. La grande cité de Bordeterre se dévoile, alors, devant eux.

Pour son second album après le remarqué et remarquable Après le monde (un puissant one shot postapocalyptique), Timothée Leman adapte Bordeterre, le premier roman de Julia Thévenot, paru en 2020 également aux éditions Sarbacane. Il s’approprie dès lors le vaste et complexe univers imaginé par l’auteure.

À Bordeterre, toute la vie est structurée autour du quartz, une pierre utilisée avec des chants pour accomplir à peu près tout. Mais son utilisation est extrêmement règlementée et, surtout, les puissants exercent une véritable mainmise sur cette ressource particulièrement précieuse. Au château, les rôles sont bien définis entre trois familles : les Saint-Esprit pêchent le quartz, les Dagénor le vendent et les Meunier le transforment en énergie. La société est ainsi profondément hiérarchisée et contrôlée, quelques élites imposant leur loi aux masses. À leur arrivée dans ce nouveau monde, Ines et Tristan vont prendre des directions parfaitement opposées. La petite fille, téméraire et énergique, va être prise pour un petit garçon par Philadelphe Saint-Esprit, qui fait d’elle une cordiste, une personne chargée d’extraire du quartz au fond du lac zéro. Intégrée au milieu des chatelains, elle va rapidement oublier sa condition d’origine. Tristan, jeune garçon autiste et réservé, va, lui, être confronté à la dureté de la vie pour ceux qui sont exploités. Il ressent rapidement le besoin de se mobiliser pour changer les choses. Récit fantastique et critique sociale se mêlent, dès lors, tout au long de cette première partie qui présente efficacement le cadre général de l’histoire et les différents protagonistes.

Pour la mettre en image, Timothée Leman poursuit dans son style qui transpire d’influences diverses issues du manga ou encore d’auteurs comme Jérémie Almanza, Tony Sandoval ou Jonathan Munoz. Mais la patte de l’artiste s’affirme et il parvient à esquisser sa propre identité graphique. Les couleurs, presque toutes dans des teintes pâles, jouent un rôle déterminant et prennent le pas sur le trait et l’encrage, discrets. Le choix s’avère particulièrement judicieux lorsqu’il s’agit d’imager les « transparents » et leur aspect fumeux voire vaporeux. Le découpage et la mise en scène sont relativement classiques mais dynamiques à souhait et permettent d’emporter le lecteur dans cette intrigue captivante.

Premier volet de très haut niveau, Les âmes débordées entame de la meilleure des manières cette nouvelle série. Il ne reste plus qu’à patiemment attendre la suite et espérer qu’elle soit tout aussi réussie.

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Moyenne des chroniqueurs
8.0