Le mécanisme

J onathan Bennett aime bien se présenter comme un écrivain qui écrit sur les écrivains et c’est dans le but de peaufiner son ouvrage sur Robert Graves qu’il atterrit à Palma de Majorque, île où le célèbre auteur a habité plusieurs années. En route vers la somptueuse villa transformée en musée, il tombe sur Carter, un vieil Américain installé en Espagne depuis des lustres. Très vite, une relation se met en place entre ce duo d’inconnus qui partagent une même passion pour la littérature, l’œuvre de Marcus Carlton en particulier. Auteur d’un seul livre vendu à des millions d’exemplaires, ce dernier se suicida sans laisser d’explication. Trente ans après cette tragédie, il est devenu une sorte de légende dans les milieux littéraires.

Roman psychologique se trouvant être graphique, Le mécanisme se concentre sur ses personnages – deux en vérité, les autres n’étant là que pour meubler les temps morts et donner un peu de chair aux héros – et leurs psychés. Jonathan étudie l’acte d’écrire et Carter, qui a publié des nouvelles il y a longtemps sans rencontrer le succès, refuse de le faire. Ils sont les deux faces d’une même pièce que la destinée tragique de Carlton relie. La création est une grande prédatrice égoïste qui ne laisse rien pour les autres. Jonathan est divorcé et son nouveau couple bat de l’aile (c’est d’ailleurs la vraie raison de sa venue en Europe, mettre un peu de distance avec son amie), Carter est seul et misanthrope. Jeu de cache-cache fait d’arguments immanquablement à double sens, les discussions entre les deux hommes explorent les limites de chacun. Et si la solution était dissimulée dans les pages du Mécanisme, le livre testament de Carlton ?

Gabi Beltrán a tissé un scénario rempli de méandres et de sous-entendus qui aurait pu pencher facilement dans le fantastique ou l’étrange. Il a heureusement préféré garder les pieds sur terre et le propos reste axé sur l’humain et ses aspirations. Outre quelques touches d’humour discrètes, il réussit même à construire un semblant de suspens grâce aux multiples écrans de fumées entourant les deux protagonistes.

Visuellement, Ángel Trigo rend une copie solide et très aboutie pour un premier album. Découpage dynamique et couleurs en accord avec l’ambiance de l’instant, il arrive même à s’imposer au milieu des nombreux «duels» de mots qui rythment la narration. Prenant à bras le corps et faisant sien un sujet éminemment cérébral, il offre un excellent moment de bande dessinée particulièrement immersif et tangible.

Récit exigeant et tendu au scénario parfois (trop) alambiqué, Le mécanisme se révèle être une lecture prenante. Il permet également de faire la connaissance avec un dessinateur talentueux qu’il faudra suivre désormais.

Moyenne des chroniqueurs
6.0