Le combat d'Henry Fleming

D evenir un homme, voir autre chose, faire comme ses camarades, Henry Fleming ne sait finalement pas pourquoi il s’est engagé dans l’armée. Mais voilà, c’est la guerre et son unité est appelée sur le front. C’est le moment décisif. Sera-t-il un héros ou un lâche ? Aura-t-il peur ? Et les blessures, voire la mort ? Là, le clairon sonne et les officiers aboient les dernières consignes. Il va bientôt savoir.

Six ans après Cinq branches de coton noir, Steve Cuzor retourne aux USA, pendant la guerre de Sécession cette fois-ci, en adaptant un roman peu connu dans le monde francophone, L'Insigne rouge du courage de Stephen Crane. Paru en 1895, l’ouvrage fit sensation et est encore considéré aujourd’hui comme une œuvre majeure de la littérature nord-américaine. Sa modernité, tant sur le fond, le style et la forme, annonçait le réalisme et l’introspection psychologique des écrivains du XXe siècle.

Le combat d’Henry Fleming suit une jeune recrue de l’armée de l’Union (les Nordistes). L’histoire, narrée à hauteur d’homme, décrit les mouvements de troupe et les nombreux massacres que les soldats vont mener et endurer. Le cadre général (le nom et le lieu ne sont jamais nommés) reste flou et les enjeux se limitent à survivre et défaire ceux d’en face. Si la poudre parle et le sang coule, c’est donc dans les têtes, celle du héros en particulier, que la vraie action se déroule et elle n’est pas moins violente ! Dire qu’Henry va connaître tout un lot d’émotions et de doutes est un bien faible euphémisme. Sans entrer dans les détails et dévoiler trop du scénario : il ne sera plus la même personne au fil des pages et ce, à plusieurs reprises.

Mettre en images les discours intérieurs, ainsi que la fureur sanglante et insensée des batailles rangées, tout en respectant l’identité et la saveur du texte original n’a pas dû être une partie de plaisir. Pour arriver à ses fins, Steve Cuzor a mobilisé tout son talent et trouvé quelques excellentes astuces visuelles (les couleurs, les lumières, etc.). Le résultat se montre somptueux, riche et véritablement impressionnant. Depuis le Hermann des grandes années, peu d’auteurs ont aussi bien réussi à capter l’intensité et la tension de l’instant présent. Les trois batailles qui jalonnent le récit s’avèrent à ce point de vue exceptionnelles : sueur, poussière, peur et odeur de la cordite sont tangibles et restent longtemps dans l’air après la lecture. Moins percutants (à peine), les moments de calme peinent en revanche à trouver leur rythme. La faute en revient peut-être à un découpage trop similaire d’une scène à l’autre. Le fracas et l’instantané sont racontés de la même manière que la quiétude et la réflexion. Cela crée une forme de discordance qui impacte légèrement la lecture.

Force du propos magnifié par un travail graphique de très haut niveau, Le combat d’Henry Fleming est une réussite à ne pas laisser passer.

Moyenne des chroniqueurs
7.8