Sept vies à vivre

P ortrait biographique embrassant le XXe siècle, 7 vies à vivre raconte simplement la destiné d’un individu lambda pris dans le cours de l’Histoire. Une particularité cependant, Charles Masson narre l’existence d’un habitant des Bauges, dans les Alpes françaises. Est-ce un parent ou un hommage composite à sa famille au sens large ? L’auteur des Gens de rien a préféré ne pas expliquer son choix, même si le scénario suggère qu’il a eu accès à quelques documents de nature intime pour construire son récit.

Qu’est qui caractérise et, surtout, représente ce Savoyard, fils des cimes et des pâturages ? René et sa famille, c’est une France oubliée, celle des habitants des montagnes. Des paysans plus pauvres que pauvres que la mécanisation et les progrès techniques n’ont pas encore atteints au mitan du siècle. Obligées de se débrouiller pratiquement en autarcie (quand les routes se résument à des chemins de terre battue emportés à chaque orage, il faut savoir être autonome), ces populations surplombent une nation qui devine à peine leurs présences. Sauf pour quelques cyclistes courageux (ou fous selon les avis), c’est l’Occupation qui va braquer les projecteurs sur ces régions éloignées. D’abord, des Résistants arrivent afin de monter des maquis à l’abri, puis, logiquement et dramatiquement, les Nazis suivent. Il en résultera des évènements sanglants que personne n’oubliera. Libération et paix établies, les miettes de la reconstruction permettront de goudronner les cols et d’attirer des visiteurs d'un nouveau genre : les touristes.

Et René dans tout ça ? Unique survivant d’une fratrie de sept enfants tous morts en bas âge, il est une force la nature qui va s’accrocher à ses rochers et mener une vie remplie de joies et de misères. Bon an mal an, il grandit, tombe amoureux et est éconduit. Un peu plus tard, comme tout le monde, il part faire son service militaire au Maroc et revient auprès des siens un peu changé par son séjour sous les drapeaux, quoique fidèle à ses principes. Il finit par apprendre un métier, la tannerie, et vieillit ensuite tranquillement, sans vraiment comprendre les mutations d’un monde trop différent de ce qu’il connaît.

Découpé en sept chapitres à la symbolique claire et franche, l’album, à la narration onctueuse comme un bon reblochon et aux récitatifs secs comme le Crépy, se déguste avec plaisir. Généreux et habité, Masson offre un récit rempli d’émotions et de drames. Sur le devant de la scène, une galerie de personnages aux psychologies fouillées et précises fait réellement revivre un coin de pays certainement cher au cœur de l’auteur. Résultat, il est impossible de ne pas se sentir touché par ce grand gaillard brut de décoffrage, mais tellement sympathique.

Dessins et découpage maîtrisés, délicieuse colorisation vintage et un très bon sens du timing, 7 vies à vivre est un petit bijou de sensibilité et d’intelligence. Original par son sujet central et classique dans son approche, cette aventure à grandeur humaine est une réussite que devraient apprécier les amateurs de terroir et les curieux d’un passé pas si lointain en fin de compte.

Moyenne des chroniqueurs
7.5