Les âmes fendues

À Béziers, le Centre psychothérapeutique Camille Claudel accueille des patients souffrant de maladies psychiques et de troubles du comportement, quelques autistes (parce qu’on ne sait pas où les interner), mais surtout, des schizophrènes. Les âmes fendues a l’allure d’un reportage dans le cadre duquel un tandem de bédéistes observe et écoute pensionnaires et membres du personnel, puis tend le micro à ces derniers et, quand l’occasion se présente, à leur famille.

Le scénariste Xavier Bétaucourt entame le livre en rappelant l'histoire de Camille Claudel, laquelle a été enfermée pendant trente ans. Ce prologue constitue, d’une certaine façon, la mise en abyme du récit. Il démontre qu’en un siècle, les choses ont changé, la science a apporté son éclairage, la pharmacopée tempère les excès et, heureusement, plus personne n'est mis en cage. La douleur se montre toutefois toujours aussi présente. Celui qui a la malchance de remporter la loterie de la maladie mentale est réduit à vivre dans la marge, isolé, fréquemment contre son gré. Soigner un bras cassé demeure tout simple… réparer un esprit fracturé est un tantinet plus complexe.

Le reporter offre une belle place aux intervenants. Généralement bienveillants, ils apparaissent à l’écoute. Néanmoins, faute de ressources, ils ont du mal à soulager leurs protégés et semblent souvent désarmés face à une détresse qui finit parfois par les contaminer. En creux, se lit une critique des services sociaux français.

Jean-Luc Loyer, vieux routier des livres à saveur sociale (Le Grand A, Sang noir, La Balance, le glaive et les fourmis), met ses pinceaux au service du projet. Avec son style semi-réaliste, il traduit efficacement le propos en images, tout en évitant d'en faire trop. Un peu comme s'il estimait que le fond est si fort qu'il n’y a pas de raisons d’insister sur la forme.

Un petit jeu formel, étrange et mystérieux, ponctue le récit : plusieurs planches commencent ou se terminent par une case très étroite, quelquefois d’à peine quelques millimètres. Peut-être faut-il y voir une allégorie de l’exiguïté des lieux, à moins que ce ne soit une évocation des barreaux d’une prison.

Un album intéressant, cru, vrai et touchant, mais long. Il est essentiel de porter un vif intérêt à cette question pour maintenir son attention tout au long des cent quinze pages.

Moyenne des chroniqueurs
6.0