Au-dedans

N ick s'ennuie. Enfin, lorsqu'il n'aide pas sa mère à retaper son appartement, il s'ennuie. Alors, entre deux contrats, il traîne dans les rues de sa ville en écumant les coffee shop et autres bars branchés en essayant de se la jouer « artiste torturé », un peu détaché. Mais au fond de lui, Nick sait très bien ce qui lui manque. Enfin, pas sûr...

Will McPhail, connu pour ses travaux d'illustration au The New Yorker depuis près de dix ans, a sauté le pas du neuvième art avec In, paru de l'autre côté de la Manche en 2021 chez Sceptre. En ce début 2024, ce sont les éditions 404 (via leur label Graphic) qui l'éditent dans nos contrées. Et après le succès du Dernier jour de Howard Phillips Lovecraft, la maison d'édition a de nouveau eu le nez creux ! Car ce Au-dedans est une jolie réussite.

Pourtant, à première vue, l'histoire concoctée par l'auteur britannique n'a rien pour faire lever les foules. Graphiquement tout d'abord, les premières pages laissent dubitatif ; un noir et blanc à peine rehaussé de dégradés de gris, où les yeux souvent exorbités des personnages semblent être leur unique vecteur d'émotions. La trame ensuite : à l'image de ce trentenaire discret, voire transparent, qui déambule de bar en bar sans but précis, elle ne semble mener nulle part. Et puis... La magie opère, tout prend forme et les deux soixante-neuf planches se dévorent.

Bien qu'il s'agisse de son premier projet et même s'il confesse avoir tout fait à l'instinct, Will McPhail montre un vrai savoir-faire dans la mise en scène. Son découpage alterne vignette unique et gaufrier douze cases en passant par des séquences qui s'affranchissent des codes classiques de la bande dessinée avec la même fluidité. Mieux, son intrigue, a priori si futile, s'avère rapidement prenante tant elle peut concerner tout un chacun ; Nick n'arrive pas à lier de vrais rapports avec les gens qui l'entourent et cela le questionne. Dans une société où tout le monde apparaît connecté à des centaines voire des milliers de personnes, où les interactions sont quotidiennes et innombrables, pourquoi est-il si difficile de dévoiler ses pensées ? Comment éviter les banalités et les conversations superflues ? Par quel moyen parvenir à tenir une discussion sincère et avoir un réel échange même bref ?

Balloté entre sa mère, sa voisine, sa sœur ou Wren, sa nouvelle sexfriend, Nick va, au gré de ses rencontres, réussir à dépasser ce vernis si confortable qui habille les relations. Il va enfin parvenir à échanger sans faux-semblant et, l'espace de quelques instants, créer cette connexion tant recherchée. Cela lui fera l'effet d'une révélation. D'ailleurs, les lecteurs ne pourront échapper à la force de cette sensation car l'artiste choisit une mise en page explicite dont l'effet est garanti. Nick, désormais libéré du rôle qu'il s'obligeait à jouer, souhaite revivre ce moment encore et encore... Mais tout n'est pas aussi simple lorsque, pendant des années, la superficialité a dicté l'essentiel de ses interactions sociales. Avec humour, souvent de l'autodérision, mais aussi beaucoup de pudeur, l'auteur emmène son public sur les pas de son double et de la vague d'émotions à laquelle il a enfin ouvert les portes et qui l'amènera bien plus loin qu'il ne le pensait.

Envoûtant, Au-dedans est un récit à la fois intimiste et universel. Une réflexion sur la relation aux autres et donc à soi, dans un monde où les rapports sont souvent vides et superficiels. Avec cet album drôle, plein de poésie et de finesse, Will McPhail s'offre une entrée remarquée dans la bande dessinée.

Lire la preview.

Moyenne des chroniqueurs
9.0