Rivages lointains

1938.
En voyant entrer Adam Czar dans la boutique pour laquelle il fait des livraison, Jules n'a plus qu'une idée en tête : intégrer son équipe et gravir les échelons de la mafia. Mais, même en étant un jeune immigré Italien, se faire sa place dans la capitale du crime comporte des risques. De Chicago à Marseille en passant par New-York, l'ascension de Jules ne se fera pas sans dommage...

Après quelques projets en financement participatif et en parallèle de ses travaux d'illustratrice (notamment pour les couvertures de romans de Emily Norsken, chez Les Trois Normes), Anaïs Flogny fait son entrée dans le neuvième Art, chez Dargaud. Pour le lancement du nouveau label de l'éditeur, Combo, au côté des deux autres titres sortis pour l'occasion - Hana et Taru - La folie de la forêt et Le puits -, l'autrice propose avec ses Rivages lointains une plongée de près de trente ans dans la pègre américaine.

Il serait aisé de penser qu'elle a choisi la facilité avec une énième histoire de gangsters à l'ancienne. Pourtant, dès les premières planches, il est évident que ce ne sera pas le cas. Si les éléments de base - jolis costumes, racket, familles italiennes - sont bien là, le ton comme la narration sont résolument modernes. Cette modernité se retrouve d'abord dans l'approche graphique. Plutôt que des arrière-plans surchargés et un gaufrier en neuf cases, l'artiste opte pour un trait fin, acéré même, pour les visages de ses personnages principaux, et des couleurs pastels. Surtout, elle n'hésite pas à s'affranchir d'un découpage (trop) sage en proposant des mises en pages inventives pour donner plus de force à certaines séquences.

L'élégance du dessin se retrouve aussi dans la narration. Jouant sur les silences et les ellipses, pour ménager ses effets et faire rebondir son récit, Anaïs Flogny démontre qu'elle maitrise déjà le medium. Elle mêle habilement la progression de Jules, parsemée de risques et de rencontres, avec sa relation avec Adam pour tisser une histoire d'amour surprenante. Loin de faire dans l'idylle insipide, elle ajoute ce qu'il faut de violence, de dangers et de tension pour rendre la lecture prenante. Les questionnements de son héros sont au centre d'une trame, rythmée et bien menée, soutenue par de très bons dialogues.

Pour ses débuts en bande dessinée, Anaïs Flogny place la barre très haut. Dense, violent mais aussi poétique et touchant, son Rivages lointains constitue une des belles surprises de ce début 2024. Une autrice à suivre, assurément. Cela tombe bien, elle a déjà un projet dans ses cartons pour 2025, chez Dupuis.

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Moyenne des chroniqueurs
8.0