It's lonely at the centre of the Earth

Z oé Thorogood est une jeune autrice anglaise qui commence à se faire remarquer.

À vingt-six ans, elle a déjà publié Dans les yeux de Billie Scott, un premier roman graphique qui a rencontré un certain succès. Elle a aussi signé l'adaptation d'une nouvelle de Joe Hill (Rain, paru chez Hi Comics) et a collaboré sur des titres Marvel et DC. Tout semble aller pour le mieux. Pourtant, la jeune femme se bat avec la dépression depuis son adolescence. Elle a du mal à trouver sa place dans le monde. Elle préfère la solitude, fuyant autant que possible les contacts sociaux. Elle ne communique que difficilement avec sa famille, d'autant plus que sa mère souffre du même mal. Cette maladie est vécue comme un échec pour ses parents : culpabilité pour sa mère qui lui a transmis cette souffrance et résonance tragique pour son père, qui, après avoir soutenu son épouse, souffre de voir sa fille confrontée à la même épreuve. Quant à son frère, elle n'a que peu de contact avec lui.

Elle est seule, désemparée et perdue. Elle ressent le syndrome de l'imposteur face à sa petite notoriété naissante. Elle est confrontée à l'incompréhension des lecteurs, qui tendent à confondre l'autrice et l'héroïne de son précédent livre. Si l'artiste s'est inspirée d'elle-même pour imaginer son personnage, cette dernière reste une construction imaginaire qui évolue vers ce que sa créatrice aimerait devenir, mais sans y parvenir dans le monde réel. Cette confusion devient la source d'un incommensurable sentiment d'échec.

La dessinatrice se sent désespérément isolée au centre du monde. Elle passe par des phases sombres, jusqu'à envisager le suicide comme une possibilité inéluctable plutôt qu'une porte de sortie aussi illusoire que fantasmée. Alors, elle décide de se lancer dans un projet fou : dépeindre six mois de son quotidien, comme une exploration artistique et autobiographique. Cet acte créatif devient sa raison de vivre et une tentative de reprendre le contrôle d'elle-même. Elle se met en scène, brisant le quatrième mur et s'adressant aux lecteur.rice.s, se met à nu, expérimente sans cesse, passant d'un style à l'autre avec une facilité déconcertante, se représentant sous le forme de multiples avatars, qui personnifient les différents aspects de sa personnalité. Créer pour survivre. Dessiner pour exister.

Quel poncif... encore une scribouillarde autocentrée qui gémit sur son nombril.

Oui... et non. Les confessions autobiographiques sont un genre à part entière dans la littérature. Pourquoi serait-ce interdit en bande dessinée ? Les diarrhées verbales sont légions sans que cela ne remette en cause les réussites incontestables. Rien ni personne n'oblige à lire tout et n'importe quoi. L'existence d'une majorité de réalisations médiocres suffit-elle pour mépriser toute tentative ? Surtout que, malgré son jeune âge, Zoé Thorogood frappe par sa maturité et par la qualité formelle de son travail, quasi virtuose. Elle infuse dans un style réaliste des influences manga et underground, le tout bien digéré et se côtoyant sans heurts. Son travail s'impose d'emblée comme une réussite du genre, bien loin de la lamentation auto-satisfaite que beaucoup seraient tentés de voir. Au contraire, il s'agit d'un véritable manifeste créatif qui est proposé ici, parfois pompeux, mais le plus souvent étonnamment juste et subtil. It's lonely at the center of the world s'ouvre et se referme sur une danse, comme un nouveau départ, similaire mais différent. Sans aucun doute, Zoé Thorogood n'est qu'au début d'une carrière plus que prometteuse.

Moyenne des chroniqueurs
8.0