Bobigny 1972

M ichèle n'a pas vraiment hésité lorsque sa fille de quinze ans, Marie-Claire, lui a annoncé sa grossesse et sa volonté de ne pas aller au bout de celle-ci. Mais, dans la France du début des années 70 et alors qu'entre 300 000 et 1 million de femmes avortent clandestinement chaque année, la loi est contre elle. Certaines femmes, connues ou anonymes, ont décidé, quelques temps auparavant de tout mettre en œuvre pour amener le législateur à la modifier. Gisèle Halimi pense que le procès de la jeune fille, de sa mère et de deux de leurs amies sera une parfaite occasion de faire entendre leurs voix.

Comme une évidence... La collaboration entre la scénariste Marie Bardiaux-Vaïente et la dessinatrice Carole Maurel ne pouvait que se faire sur un sujet aussi important. La première a toujours choisi des histoires en rapport avec des combats législatifs (L'Abolition, le combat de Robert Badinter, L'enfer est vide, tous les démons sont ici) ou centrées sur des femmes fortes. La seconde a souvent mis ses pinceaux au service d'héroïnes marquantes au destin tourmenté (Collaboration Horizontale, Écumes, Nellie Bly, dans l'antre de la folie, Luisa ici et là). Ensemble, elles s'attaquent cette fois à l'une des étapes fondatrices qui a mené à la proposition de loi de Simone Veil, adoptée en 1974.

Si la trame reprend le fil de ce fameux procès et que la scénariste s'est attachée à coller le plus possible aux faits, le point de vue retenu se veut au plus près de l'accusée. Ou des accusées, puisqu'elles sont quatre à se retrouver face au juge et au procureur. Ce choix est bienvenu car au lieu de donner un récit judiciaire froid ou ennuyeux, il crée une proximité qui laisse rapidement place à une empathie. En effet, la reconstitution des débats est certes fidèle (le procès est largement documenté) mais c'est surtout la force des émotions retranscrites qui étreint. S'appuyant sur le trait semi réaliste et expressif de sa complice, Marie Bardiaux-Vaïente brosse le portrait attachant de femmes, comme tant d'autres, aux prises avec un monde qui ne les comprend pas, pire, qui ne les reconnait pas en tant qu'individu libre. La mise en page de Carole Maurel est à ce sens exemplaire. La scène du viol en est évidemment l'un des points d'orgue, mais l'annonce de celui-ci par Marie-Claire à sa mère ou encore la description de l'IVG clandestine le sont tout autant grâce à un judicieux jeu de clair-obscur.

Enfin, ce combat est aussi celui de Gisèle Halimi. L'avocate saisit très vite le pouvoir que peut avoir la médiatisation de cette procédure. Là encore, les autrices mettent en avant, avec finesse, son rôle moteur plein d'humanité sans pour autant en faire leur protagoniste principale. C'est le propos - la lutte pour faire bouger les choses - qui prime. D'ailleurs, les échanges entre le procureur et la femme de loi sont l'occasion de répliques, glaçantes ou marquantes, symboles de la mentalité d'une époque. Un dernier mot sur les témoignages choisis par les autrices et leur mise en scène ; de Michel Rocard à Simone de Beauvoir en passant par Delphine Seyrig ou le professeur Paul Milliez, tous, parfaitement mis en scène, concourent à montrer que le sens de l'Histoire tourne alors.

Constamment juste, poignant mais pas larmoyant, Bobigny 1972 revient, avec force et talent, sur un combat marquant que les Françaises ont eu le courage de mener. Il rappelle aussi à quel point cet acquis peut être fragile et l'extrême nécessité de rester vigilantes et vigilants pour le défendre. Même et surtout en 2024.

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