T'inquiète

E n plus de trente ans d’existence, les éditions Six pieds sous terre sont devenues une référence de la bande dessinée indépendante et ont révélé une foule de bédéastes, tous des stars aujourd’hui. Ayant atteints des sommets de notoriété inégalés, ces derniers sont désormais évidemment inaccessibles pour ces fragiles artisans de l’édition. Heureusement, des décennies de festivals et d’évènements culturels ont permis à la direction de Six pieds d’accumuler une foule de documents compromettants et autres images embarrassantes. C’est donc comme un seul homme et dans un élan d'enthousiasme sincère et débordant que B-Gnet, Bouzard, Fabrice Erre, Fabcaro et Gilles Rochier ont tous immédiatement répondu présents à la proposition de participer à un album collectif.

Gros volume vaguement improvisé en mode cadavre exquis, T’inquiète suit peu ou prou les canevas des Blues Brothers (John Landis, 1980) et des Survivants (Frank Marshall, 2006). Anciens membres d’un orchestre philharmonique renommé (cette information était jusqu’à présent peu connue en dehors des cercles autorisés), la fine équipe a été conviée à une commémoration en souvenir des vingt ans de l’écrasement de l’avion qui les emmenait vers une triomphale tournée sud-américaine. Obligés d’accepter par respect envers ceux qui n’ont pas survécu à cette tragédie, ils se mettent en route vers Boucheporn (Moselle), lieu de la cérémonie. Simplement, entre des problèmes purement logistiques et la remontée de souvenirs traumatiques, l’entreprise va se transformer une quête existentielle dont ils ressortiront changés pour toujours. Hum, ça c’est dans le communiqué de presse. En réalité, il y est surtout question d’humour régressif et hilarant à souhait, ne vous inquiétez pas.

Ouvrage amusant, mais bien en deçà du potentiel de chacun de ces auteurs, T’inquiète ressemble beaucoup à ses suites (de film, de série ou de disque) longtemps attendues et fantasmées qui se révèlent finalement, non pas vraiment décevantes, seulement pas à la hauteur des espérances mises en elles. Alors, oui, c’est rigolo, c’est déconnant et ça fait plaisir de retrouver des personnages délaissés par des artistes passés à d’autres projets dans leur carrière respective. Par contre, comme pour les reprises «patrimoniales», une fois la nostalgie digérée, impossible de ne pas réaliser que le temps a coulé sous les ponts, tant pour le lecteur que les créateurs. Résultat, ce retour en arrière vers un hypothétique âge d’or (réimmiscent) s’avère quasiment futile, même quand il est réalisé d’une manière folle et échevelée.

Moyenne des chroniqueurs
6.0