L'Été des quatre rois L'été des quatre rois

E n ce 25 juillet 1830, dans son château de Saint-Cloud, Charles X vaque sereinement à ses occupations : il assiste à la messe, va à la chasse et signe quelques ordonnances. Ces dernières visent à mettre un terme à la liberté de la presse, jugée subversive, donc dangereuse pour le pouvoir. Le roi est sûr de son action et de sa légitimité. Même s’il se remémore, dans un instant de lucidité, le sort qui a été réservé à son frère, Louis XVI, il délègue, donne des consignes et envoie son gouvernement à l’affrontement. Il ne saisit pas qu’il minimise l’effet de ses décisions, que ses ministres lui mentent et que le peuple, toujours à la limite de la famine, gronde. Alors que le monarque est absorbé par une partie de carte, la presse décide de désobéir et les premiers pavés parisiens sont descellés. La classe politique est elle-même instable : tout le monde n’a pas digéré la Révolution ou le départ de Napoléon. Le début de la conquête de l’Algérie occupe les esprits. Les Bourbons sont toujours regardés avec envie par la branche des d’Orléans. Le règne de Charles X vit ses dernières heures.

Le scénariste Hervé Loiselet (le créateur de Bodoï) et le dessinateur Antonin Dubuisson (Manolis) adaptent le roman éponyme de Camille Pascal, qui reçut le Grand Prix du roman de l’Académie Française en 2018. L’œuvre invite à une immersion dans une des révolutions les moins connues et dans une époque souvent délaissée par la mémoire collective et scolaire, à savoir les décennies s’étendant entre les deux Empires. L’action détaille le chaos politique qui a secoué Paris entre le 25 juillet et le 1er août 1830, en huit chapitres intitulés avec humour et cynisme (« Le messe est dite », « Sang d’encre » ou « Le peuple roi »). C’est un entrelacs de colère de rue, de négociations de boudoirs, d’associations éphémères, de trahisons brutales, de rancunes tenaces et d’erreurs stratégiques. De grandes figures historiques y prennent vie, de l’indéboulonnable Talleyrand au jeune et ambitieux Adolphe Thiers.

Le récit trouve son équilibre entre pointillisme historique et humour subtil. Les dialogues, ciselés, rendent compte à la fois des personnalités, des doubles sens de certaines affirmations et d’une situation sociale qui se dégrade de jour en jour. Le dessin, quant à lui, n’est pas sans rappeler les gravures qui fleurissaient alors dans les journaux, par le choix des teintes et textures. Les visages sont expressifs, les corps en mouvement, les paysages suggestifs. Ces éléments créent un graphisme de caractère, original et adapté à l’intrigue. C’est une belle opportunité de comprendre les conditions dans lesquelles est apparue la Monarchie de Juillet et pourquoi la démocratie a été si longue à s’établir, dans ce XIXè siècle plus troublé politiquement qu’il n’en a l’air.

Moyenne des chroniqueurs
7.0