La pièce manquante

L ondres, 1744. Les femmes ont été autorisées à monter sur les planches depuis peu, provoquant scandale et curiosité auprès du public. Devenue «star» à cette occasion, Peg Woflington en est ravie, mais se demande quand même si c’est son talent ou ses jambes que viennent admirer les spectateurs. De plus, lasse de jouer des rôles sans grand intérêt, elle souhaiterait se frotter à de vrais personnages. Elle confie à son fidèle ami Sanchez la tâche de lui dénicher une pièce à la hauteur de ses ambitions. En potassant les classiques, ce dernier découvre que Shakespeare aurait écrit un genre d’adaptation du Don Quichotte de Cervantès ! Problème, ce texte est perdu. Armés de quelques maigres indices, les deux compagnons se mettent sur la piste de cet inédit. Rapidement, ils réalisent qu’ils ne sont pas les seuls à vouloir mettre la main sur les derniers mots du Barde d'Avon…

Après Opération Copperhead et Le Detection Club, Jean Harambat reste encore un petit peu en Angleterre avec La pièce manquante. Récit d’aventure virevoltant et farfelu, l'ambitieux scénario se base néanmoins sur des personnages et des faits historiques. Malheureusement, le mélange entre réel et fiction se montre passablement déséquilibré. D’un côté des protagonistes (l’impétueuse Peg pré-féministe, Sanchez le métis lettré), ainsi qu’un cadre général (la «guerre» des théâtres de la capitale anglaise, le mystère entourant certains écrits de l’auteur de Roméo et Juliette) forment un matériel de départ passionnant à eux seuls. De l’autre, pour relier ces éléments et donner une forme à sa fable, Harambat a imaginé une course à l’échalote pâlotte et répétitive. De plus, afin de détailler et préciser les forces en présence, le scénariste doit multiplier les explications parfois verbeuses. Résultat, l’album, malgré son originalité et les nombreuses accroches à l’époque actuelle, s’avère lourdaud et manque drastiquement de rythme, en dehors de quelques rares morceaux de bravoure.

Graphiquement, les planches manquent également de pep. Si la distribution et les décors sont bien en main, Harambat a la fâcheuse tendance de tout dessiner avec un niveau d’intensité similaire. Scènes d’action ou purement narratives, rêves, moments tendus ou plus contemplatifs, tout est rendu de la même manière. Ajoutez une mise en couleurs aux tons fades et monotones et vous obtenez un ouvrage, certes techniquement sans faute, mais terriblement terne et manquant de vie.

Sur le papier, tous les ingrédients d’une excellente histoire étaient réunis. Au final, trop mécanique et inutilement enchevêtré, La pièce manquante ne tient pas ses promesses, et cela en dépit de tous les soins et les efforts apportés à sa réalisation. Dommage.

Moyenne des chroniqueurs
5.0