Nos mondes perdus

S 'il fallait trouver une origine à la fascination de Marion Montaigne pour la science, il faudrait sans doute se transporter dans une salle obscure, vers 1993. Une adolescente de treize ans est terrifiée et fascinée par le blockbuster de l'année : Jurassic Park. Comment expliquer que ces créatures disparues aient pu ainsi envahir la pop culture avec un tel fracas ? Et surtout, pourquoi, de toutes les espèces disparues depuis l'apparition de la vie sur Terre, ce sont ces monstres qui monopolisent toute l'attention ? Et pourquoi pas les trilobites ?

L'autrice entame un double voyage. D'une part, elle retrace l'histoire de la paléontologie. Comment, de la découverte des premiers fossiles, des hommes et des femmes ont remis en cause toutes les certitudes de l'époque ? Il leur fallut briser le dogme de l'âge du monde, alors estimé à quatre mille ans par la généalogie biblique. Plus grave, ils durent réfuter la perfection de Dieu en mettant en évidence des pans entiers de la création qui ont été successivement détruits. Avec rigueur, mais aussi avec tout l'humour qui la caractérise, la créatrice du Professeur Moustache raconte une histoire passionnante, animée par une galerie de personnages hauts en couleur, à l'image de Mary Hanning, chasseuse de fossiles à qui l'on doit quelques découvertes majeures, des rivaux américains Charles Marsh et Drinker Cope, ou de Richard Owen, personnage infect mais scientifique doué qui a inventé le mot "dinosaure".

En parallèle, la jeune femme relate aussi son parcours personnel, depuis les bancs de l'école jusqu'à cette carrière brillante de bédéiste spécialisée dans la vulgarisation scientifique. A l'instar des pionniers de l'étude des sauriens, elle a été contrainte de remettre en cause de nombreuses vérités personnelles et familiales pour sortir de la voie toute tracée par ses parents. Elle a dû affronter les doutes, la peur, les refus avant d'enfin réussir à s'imposer.

Pour être complet, un ultime aspect est abordé. Il rappelle les liens plus étroits qu'il n'y paraît entre la science et l'art. En effet, que serait la paléantologie (et d'autres disciplines) sans le travail de ces artistes qui ont donné une identité visuelle aux restes peu spectaculaires de ces animaux disparus et les ont offert au regard du grand public. Il en est question lorsqu'est abordé la première exposition d'envergure consacrée aux dinosaures, au Crystal palace de Londres en 1852. Sous la direction de Richard Owen, le sculpteur Benjamin Waterhouse Hawkins réalisa des sculptures grandeur nature de spécimens placés dans leur environnement, concept encore en vogue que chaque parent doit au moins une fois (parfois plus, voire beaucoup plus) patiemment supporter avec sa progéniture.

Nos Mondes Perdus se révèlent un livre riche, oscillant entre didactisme et autobiographie, toujours avec une sérieuse dose d'impertinence et de burlesque. Il est à l'image de sa créatrice : drôle et intelligent.

Moyenne des chroniqueurs
8.0