La brute et le divin

V oyant venir le burnout et ne trouvant plus de sens à son travail, Eva décide de quitter son boulot d’ingénieure. Elle postule alors auprès du ministère de la transition écologique afin de participer à un projet combinant immersion totale et documentation environnementale : habiter seule pendant neuf mois sur une île perdue dans le Pacifique Sud. Charge à elle de maintenir une station météo et de poster régulièrement des clichés et des «stories» de son aventure. Son profil plaît et elle est acceptée ! Là voilà débarquée sur un atoll avec sa chienne comme seule compagnonne. Le cadre est idyllique, mais ce qui devait être une coupure salvatrice avec les tracas de la vie moderne va rapidement se révéler plus compliqué que prévu.

Robinsonnade 2.0 associant philosophie de Henry David Thoreau et mise à nu des réalités de la nouvelle économie, La brute et le divin fait feu de tout bois, sans rien apporter de vraiment pertinent, malheureusement. Personnage principale à la psychologie mal définie, péripéties survivalistes triviales (compter sur la pluie pour son eau potable, qui aurait pu penser que c’était le remède à la déshydratation ?) et leçon de choses sur les dessous des technologies «vertes», Léonard Chemineau semble s’être limité à empiler les situations plus qu’à construire un véritable récit. Conséquemment, si, individuellement, ces éléments s’avèrent intéressants en soi, l’ensemble peine à convaincre. L’évolution personnelle d’Eva, tout particulièrement, se montre difficile à suivre ou à comprendre : trop naïve, car mal préparée, ses réactions et ses changements de comportement étonnent et interrogent le lecteur jusqu’à la conclusion de l’album. Autre point laissé en suspens, quel message veut bien faire passer l’auteur avec ce catalogue mêlant incidents romanesques et faits réels ? Cela reste également un peu nébuleux et dans tous les cas passablement simpliste.

Jolie approche à l’aquarelle et aux couleurs éclatantes, la mise en images est un régal pour les yeux. Généreux et précis quand il le faut, le dessinateur fait preuve d’un talent et d’une maestria certaine. Détail secondaire, mais parlant, le choix des cases sans détour apporte ce petit supplément de liberté à ces planches perdues dans les mers du sud. Moments de béatitude ou plus tendus sont dépeints avec les mêmes autorité et souci esthétique. Impossible de ne pas envier Eva face à tant de beauté naturelle et, à l’opposé, de trembler avec elle quand les éléments ou la violence se déchaînent.

De la bonne volonté, des interrogations sincères et une colère justifiée, Le brute et le divin manque cependant le coche à cause d’un scénario trop relâché et virevoltant. Dommage, car pour le reste (dessins, découpage, rythme), Chemineau rend une copie merveilleuse remplie de délicatesse et de grâce.

Moyenne des chroniqueurs
5.3