Le dernier Jour de Howard Phillips Lovecraft Le Dernier Jour de Howard Phillips…

R ongé par le cancer, sur son lit d'hôpital, Howard Phillips Lovecraft n'en a plus pour longtemps. Alors que les infirmières le gavent de morphine, un certain Randolph Carter, un étrange journal dans sa poche, demande à le voir. Mais Randolph Carter est avant tout un avatar de papier que l'auteur a créé de toute pièce. Alors, qui est au chevet du malade dans cette chambre ? Est-ce un rêve ou la réalité ?

Pour sa première incursion dans le neuvième art, Romuald Giulivo s'attaque à une icône. Accompagné de Jakub Rebelka et, alors que tout, ou presque, a déjà été écrit sur le démiurge, le romancier a décidé de narrer la dernière journée de l'existence du père du mythe de Cthulhu. Mais, plutôt que de proposer une biographie linéaire ou chronologique de ces ultimes heures, il va suivre les divagations d'un auteur confronté à une tâche bien difficile : écrire son meilleur récit, le sien.

Pour l'occasion, 404 éditions (via sa division 404 Graphic) délaisse son segment de prédilection, les comics, pour offrir un écrin à la hauteur du défi. Grand format au papier de qualité, dos toilé, couverture gaufrée au titre doré et postface de François Bon. L'objet impressionne d'emblée autant que la couverture hypnotique du dessinateur polonais. Mais qu'en est-il du contenu ?

Sous la forme d'un songe aux allures de cauchemar, Rebelka et Giulivo vont immerger leur lectorat dans les méandres des doutes et réflexions de leur héros. Déroutant sur les premières pages, ce voyage apparait d'abord exigeant avant de dévoiler tout son sens. Par-delà des dialogues intérieurs, H.P. Lovecraft - et les auteurs à travers lui - s'interrogent sur le but de la création, la trace que celle-ci laissera, ce qui fait une œuvre, comment accéder à l'immortalité à travers ses livres ou encore comment ses "héritiers" s'empareront de ses écrits. Voir le maître échanger avec Edgar Allan Poe (une de ses sources d'inspiration) ou Stephen King, Neil Gaiman et Alan Moore est assez jouissif. Intercalant des échanges, fictifs, épistolaires, à leurs chapitres, les auteurs profitent de ces respirations pour mettre en avant le rapport qu'a entretenu (ou aurait pu entretenir) Lovecraft avec ses correspondants. De Robert E. Howard à Jacques Bergier (écrivain et premier traducteur en France), en passant par sa femme Sonia Davis Greene, sans oublier certaines de ses créations.

Riche programme qui aurait pu s'avérer indigeste. Pourtant, Romuald Giulivo s'en tire avec les honneurs. Alternant les récitatifs introspectifs et les échanges avec des personnages marquants de la vie de son héros, il n'élude aucun thème. Même ses positions plus discutables - antisémite ? raciste ? - qui ne doivent pas être décorrélées de son époque, sont elles aussi abordées avec finesse. Et il se trouve bien aidé dans son entreprise par les peintures organiques de son compère et sa mise en scène psychédélique. Le dessinateur livre une prestation de haut vol. Alternant les planches habillées de rouge sanguinolent lors des délires d'un homme à l'agonie avec les gris dépressifs de la réalité, Jakub Rebelka soutient et appuie avec brio ce voyage jusqu'à son ultime étape, la mort.

Romuald Giulivo et Jakub Rebelka offrent avec Le dernier jour de Howard Phillips Lovecraft, une plongée hallucinante et hallucinée dans la psyché d'un auteur hors norme. Un bilan au crépuscule de sa vie tout autant qu'un testament pour un auteur qui n’aura jamais connu le succès de son vivant et se considérait comme un écrivain raté. S'il savait...

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