300

]Le roi Xerxès Ier a rassemblé la plus grande armée jamais constituée de mémoire d'homme. Il marche sur Sparte, pour venger une humiliation infligée par Léonidas. Ce dernier, fort d'un contingent de trois-cents guerriers spartiates, s'impose comme le dernier rempart face à cette marée humaine. Au cœur des Thermopyles, il s'apprête livrer un dernier combat titanesque.

Voici vingt-cinq ans, Frank Miller s'était lancé dans cette minisérie qui ressemblait à un pari fou. Pour le public américain, la mythologie grecque reste mal connue et il était difficile d'imaginer susciter l'engouement avec un sujet aussi peu porteur. Pourtant, le doute n'était pas permis pour l'auteur. Pour lui, l'origine même des super-héros se retrouve dans l'iconographie très forte des légendes antiques. Visuellement, les hoplites représentent des prototypes des super-héros : des corps puissants sublimés par des artefacts chargés d'une symbolique terriblement virile (casque, cape, bouclier...) De plus, il est resté marqué par la reconstitution de cette bataille dans un film de Rudolph Maté : La bataille des Thermopyles, dans lequel la magie du technicolor et du cinémascope fonctionnait à plein régime. Il voit enfin dans ce projet une opportunité unique de pousser encore plus loin les expérimentations entamées dans Sin City en y intégrant la couleur, par l'entremise de sa collaboratrice de longe date : Lynn Varley. Il est d'ailleurs extrêmement dommage que cette dernière ne soit pas créditée sur la couverture, pour n'être mentionnée plus loin que pour les "illustrations de page de garde", après l'éditrice, le créateur du logo et le maquettiste. Son travail fait partie intégrante de la narration et elle fut logiquement récompensée d'un Eisner Awards de la meilleure coloriste. Elle était d'ailleurs présente dès la couverture de l'édition précédente chez USA.

Huginn & Muninn propose deux versions de cette bande dessinée : celle-ci, de type "comics" et une autre, "beau livre", qui reprend le format à l'italienne qui était celle du Trade Paperback. En fait, la série fut d'abord publiée en cinq épisodes en format traditionnel. La pagination limitée des fascicules permettait de profiter de tous les détails alors que celle, plus importante, de l'intégrale fait disparaître certains détails dans la reliure et casse l'effet panoramique des planches. La composition y parait étouffée. Elle perd en souffle et en dynamisme. À choisir, il faut privilégier l'autre version, qui rend vraiment justice au travail exceptionnel de Miller et Varley.

Il sera toujours facile de gloser sur le récit en lui-même, surtout au regard des prises de position très droitières de celui qui s'est par la suite égaré dans un Terreur Sainte très discutable. 300 a de quoi prêter le flanc aux interprétations douteuses. Son exaltation de la force brute pour protéger une démocratie fragile et corrompue rappelle certains discours liberticides bien trop en vogue. L'androgyne Xerxès, archétype du mal séducteur et ambigu, collabore avec Ephialtès, monstre difforme qui évoque une créature impure et indigne de l'idéal viril de Sparte. Pour les contrer, il faut une troupe de surhommes, prêts au sacrifice ultime pour leur patrie.

Sans doute est-ce le gros bémol qu'il faudra toujours adresser à ce livre. Incontestable chef-d'œuvre visuel, il repose sur un terreau franchement problématique. Cela plaide d'autant plus pour préférer édition à l'italienne, la seule à même de permettre sa (re)découverte dans les meilleures conditions et profiter pleinement de son incroyable impact visuel.

Moyenne des chroniqueurs
5.0