Hacker la peau

D ans une France tombée aux mains de l'extrême-droite, Lyon est partagée entre fa et antifa. C'est un monde en guerre qui n'offre guère d'espoir. Pourtant, le temps d'une nuit, alors que les skinheads se sont lancés dans une offensive contre les quartiers qu'ils ne contrôlent pas, Prin entraîne ses amant.e.s Axl et Molly dans une quête mystique. A la confluence du Rhône et la Saône, coulerait un troisième fleuve.

Dans sa description d'une ville déchirée et des zones marginales où ceux qui refusent de se soumettre à la norme, l'ombre d'Alain Damasio n'est jamais loin. Le mélange de technologie et de symbolisme magique accentue encore la dualité de ces univers qui coexistent sans pouvoir cohabiter. Les auteurices y intègrent les problématiques de la communauté LBGTQ, mettant en scène un trouple queer polyamoureux constitué d'un hacker cis, une poétesse lesbienne et une couturière trans. La visibilité de ces minorités est primordiale pour ielles.

Malheureusement, si l'ambition du projet est évidente, jouant sur une double temporalité déclinée en quatre temps (dans un schéma narratif hérité du manga : le kishotenketsu) et s'inspirant des théories de l'autrice Ursula K. Le Guin, le résultat souffre sans doute de l'incapacité d'aller au bout de chaque idée. Les dialogues tiennent parfois plus du slogan que d'un langage naturel. Les thématiques s'entrecroisent, se percutent, se nourrissent parfois l'une de l'autre avant de se perdre dans un final déroutant.

Hacker la peau est certainement une bande dessinée courageuse et importante parce qu'elle offre une autre perspective que celles qui nous sont généralement offertes. S'éloigner des stéréotypes ne peut qu'être bénéfique pour faire exister celleux qui sont confinés dans les marges.

L'homophobie tue.

La transphobie tue.

La caricature perpétuelle sonne comme une double condamnation. Alors, de ce point de vue, cette bande dessinée a le mérite d'exister, même si elle n'est pas complètement aboutie. Elle déroule son message au détriment de ses protagonistes, Prin, Axl et Molly, qui peinent à exister vraiment. Iels ne semblent jamais dépasser leur rôle de personnages "utiles". Ce livre engendrera sans doute autant de rejet que d'adhésion, parce qu'il ose aller là où peu de bandes dessinées s'aventurent. Rien que pour cela, il convient de saluer le travail de Sabrina Calvo et Jul Maroh.

Moyenne des chroniqueurs
4.7