Une éducation orientale

E n plein confinement, l'auteur laisse glisser tout ce qui lui tombe sous la main : crayon, plume, bic... sur le papier. Entre ennui et plongée dans ses souvenirs, c'est presque inconsciemment que la silhouette d'Alain, son frère, s'impose. Comme une évidence, Charles Berbérian lui emboîte alors le pas, pour une déambulation nostalgique et chaotique dans le Beyrouth de son enfance, auquel se surexpose le Beyrouth contemporain, meurtri par les conflits successifs et l'explosion qui l'a défiguré en 2020.

Né à Bagdad d'une mère d'origine grecque et d'un père arménien, l'auteur avait dix ans lorsqu'il débarque dans la capitale libanaise. Face à l'instabilité politique qui régnait alors en Irak, ses parents ont jugé préférable de le confier à sa grand-mère. Il y passera les six années suivantes, de celles qui comptent double. De cette adolescence passée à l'ombre de son frère, son héros, et de sa grand-mère, il conserve une tendresse particulière.

Construit avec la liberté d'un esprit en balade, Une éducation orientale offre une déambulation intime et sensible sur les traces du jeune Charles. La petite histoire familiale se mélange à celle, autrement plus complexe et imprévisible de son pays d'adoption. La capitale libanaise a traversé tant de conflits et de catastrophes qu'elle en a acquis une nature hybride, entre un passé en miettes et un futur incertain. Avec un mélange d'insouciance et de fatalisme très oriental, le dessinateur représente le Aaj'a, ce bordel ambiant tout autant hérité des souffrances du passé que porteur des catastrophes à venir. Aujourd'hui n'en est que plus précieux, parce que rien ne peut prédire de quoi demain sera fait.

En mélangeant les époques, au gré de ses souvenirs, Charles Berbérian nous invite sur les traces de ses origines. Le lecteur le suit, pas à pas, dans les coins et recoins d'une ville martyre et pourtant toujours debout, à l'image de ses habitants. Entre légèreté et tendresse, le compère de Philippe Dupuy s'offre ce pouvoir ultime que lui confère le dessin : aller où bon lui semble, quand bon lui semble, comme dans cet appartement, deuxième étage gauche, de l'immeuble Tarazi, pour retrouver sa Yaya Lucy en dégustant de la confiture d'arbre.

Ça n'a pas de prix.

Moyenne des chroniqueurs
7.0