Jeanne Chauvin. La première avocate à plaider en France

E n 1886, dans une salle de la Sorbonne, une jeune fille fait face à deux vieux messieurs qui la questionnent. Loin de se démonter, Jeanne Chauvin convainc ses examinateurs par ses connaissances et sa finesse d’esprit. Elle en sort bachelière et prête à se lancer dans des études de droit, avec le soutien de sa mère et de son frère. Son premier combat : parvenir à s’inscrire dans une faculté plus que frileuse à l’idée d’ouvrir ses portes à la gent féminine. Mais Jeanne est décidée et s’accroche à son rêve.

Être femme et porter la toge noire, l’épitoge et le rabat blanc ne provoque plus de tollé, ni n’attire des hordes de curieux. L’évolution des mentalités, les avancées liées à la lutte féministe et quelques figures fortes sont passées par-là, à commencer par Jeanne Chauvin (1862-1926). Personne de caractère, studieuse et intelligente, la demoiselle a obtenu deux baccalauréats (en Lettres et en Sciences), été Licenciée en Philosophie et en Droit, avant de devenir Docteure dans cette même discipline en 1892. Il lui a fallu encore patienter quinze ans avant de pouvoir prêter serment comme avocate, la loi interdisant aux dames d’exercer le métier ayant été levée. Si elle fut la seconde à jurer, elle a été, en revanche, la toute première à mener une plaidoirie en France.

Pour raconter la destinée de cette pionnière méconnue, Aurélie Chaney, juriste et ancienne du barreau de Paris, s’est tournée vers Djoina Amrani, avec laquelle elle avait déjà collaboré sur Ma vie rêvée d’avocate junior. Le résultat est une biographie dessinée de cent-soixante-dix pages, à la fois instructive et accrocheuse. Le récit suit une trame chronologique retraçant l’existence de celle que des moqueurs surnommaient « la cerveline » à ses débuts. S’il s’attache évidemment à son cursus universitaire et à ses difficultés pour rejoindre le barreau, il propose également de suivre quelques-unes des affaires emblématiques pour lesquelles elle a plaidé. Par ailleurs, la narration souligne les réticences de la société patriarcale d’alors, les effets d’annonce de la presse, ainsi que la solidarité des femmes engagées dans la reconnaissance de leurs droits – Jeanne rencontrant diverses figures militantes. Côté dessin, le coup de crayon semi-réaliste s’avère aussi vif qu’expressif. Il croque avec bonheur l’avocate, comme son entourage ou ses adversaires, et est soigné pour représenter les décors.

Plaidoyer joliment raconté et illustré pour sortir de l'oubli son héroïne, Jeanne Chauvin. La première avocate à plaider en France offre un bon moment de lecture qu'il serait dommage de bouder.

Moyenne des chroniqueurs
6.0