L'homme triple

F erninand Vercnocke décède en 1989. Son petit-fils Wide a alors quatre ans. Le seul et unique souvenir qu’il en conserve est celui de ce visage figé, sans vie. En dehors de cela, il n’en connaît que des histoires et quelques vieilles photos. Une en particulier, un portrait. Celui qui n’était alors qu’un jeune homme semble prendre une pose légèrement forcée et se donne un air réfléchi mais déterminé. Il est probablement bien loin d’imaginer qu’un jour, il paiera ses actes. En pleine Guerre mondiale, il a choisi le camp des collabos.

Déjà auteur de trois romans graphiques, Wide Vercnocke arrive pour la première fois sur les étals du marché hexagonal. Dans cette œuvre très personnelle et chargée émotionnellement, il interroge ce qui peut lier et différencier trois générations d’hommes partageant le même sang et le même nom, à travers sa relation avec son père et avec son aïeul. Avocat, poète et écrivain flamand, ce dernier est surtout connu pour avoir pris une part active dans la collaboration littéraire pendant l’occupation et pour avoir participé de manière particulièrement zélée à la propagande du régime nazie. À la Libération, il est condamné à de la prison ferme et déchu de ses droits civiques, qu’il ne récupèrera que vingt ans plus tard.

Pourquoi a-t-il fait ces choix ? Que pensait-il lorsqu’il assistait à un discours de Goebbels ? Était-il au courant pour les camps ? L’auteur ne parvient, en vérité, à apporter aucune réponse à ces questions. Il reste, surtout, hanté par l’idée fixe et insidieuse de sa propre responsabilité pour les agissements de son grand-père. Par une économie de mots et avec un trait simple et relâché, toutes ces réflexions s’enchaînent dans ce récit sombre, spectral par endroits, mais infiniment poétique.

Véritable introspection, L’homme triple bouscule au passage le lecteur en l’interpellant sur le poids de l’héritage familial.

Moyenne des chroniqueurs
8.0