Les sirènes de Bagdad Les Sirènes de Bagdad

V illage paisible, Kafr Karam semble échapper aux fracas qui assaillent l’Irak depuis l’intervention militaire états-unienne. Certes, quelques voix s’élèvent, rageuses, mais il y a toujours des éléments plus prudents ou sages pour les faire taire. Puis, la violence s’invite, brutale, perpétrée par ces soldats étrangers. Dans son sillage, vient l’humiliation. Alors, face au déshonneur, un fils se dresse, nourri de colère. Dans la brèche béante, des murmures s’engouffrent ; ils visent au pire : haine et mort.

Romancier algérien engagé et couronné de prix littéraires, Yasmina Khadra a déjà vu avec succès plusieurs de ses œuvres transposées au théâtre, au cinéma et en bandes dessinées (Dieu n’habite pas la Havane, par Véronique Grisseaux et Arnaud Floc’h, paru chez Michel Lafon en 2022, et L’attentat, par Loïc Dauvilliers et Glen Chapron, publié chez Glénat en 2012 et réédité en 2022). C’est au tour des Sirènes de Bagdad (2006) d’être décliné en BD par Winoc (Les Déracinés, De Mémoire) aux éditions Philéas.

L’artiste a pleinement su retranscrire la force de ce roman plongeant au cœur de la mécanique conduisant un jeune homme, sidéré par ce qu’il a vu et vécu, à devenir un potentiel terroriste. Après avoir replacé le contexte – celui de la seconde guerre du Golfe -, le récit dépeint l’atmosphère dans un patelin du désert, confit dans ses traditions et rattrapé par les réalités mortifères du conflit. En même temps, il dresse les portraits de personnages-clés de l’entourage du narrateur qui, lui, restera sans nom. Placé à la fois comme acteur et observateur, ce dernier voit son âme se lézarder au fur et à mesure que sa colère est alimentée, sa fragilité utilisée et que certaines vérités se font jour. Installé dans la capitale irakienne ravagée, il y devient le témoin d’un quotidien sans merci, des luttes intestines entre groupes rivaux et le sujet d’une manipulation psychologique minutieuse ainsi que l’épicentre d’une logistique bien calibrée. Quelques sauts dans le futur donnent la mesure de l’avancée du processus et de la fatalité portée par ce candidat kamikaze que rien ne semble distinguer des autres.

La partie graphique fait honneur à la puissance du texte. En effet, le dessin réaliste de Winoc confère du relief à la galerie de protagonistes, notamment à Yassine, Omar et Sayed. Il parvient aussi à faire ressentir l’état de stupéfaction, de déroute du héros au début, ainsi que la colère larvée qui le ronge et l’attente pesante qui le cloue dans la capitale. Enfin, la mise en couleurs accompagne avec justesse le propos ; les teintes lumineuses associées à ce bout d’Orient y cèdent parfois le pas aux tons bruns et terreux d’une ville portant les stigmates de la guerre.

Cette adaptation de qualité des Sirènes de Bagdad ne laissera pas indifférent. Un récit essentiel face à une hydre de la violence qui ne cesse de se régénérer.

Moyenne des chroniqueurs
7.0