Révolution (Grouazel/Locard) 2. Égalité - Livre 1

V oilà un peu plus de dix-huit mois que la Bastille est tombée, les députés continuent de discuter les termes de la Constitution. Loin des débats, le peuple de Paris se presse aux portes du château de Vincennes. Depuis quelques temps déjà, la capitale bruisse de rumeurs autour de la fuite du roi de France. La situation dans l'Assemblée et les clubs s'enlise tandis que dans la Garde nationale, la rue ou les salons, l'atmosphère se tend...

Débarqué sans crier gare en janvier 2019, Liberté, le premier tome de Révolution (Actes Sud), série signée Florent Grouazel et Younn Locard, avait tout renversé sur son passage ; succès populaire et critique avec, en janvier 2020, le fauve d'or du meilleur album au FIBD. La barre était donc placée haut, tant l'entrée en matière du duo avait ébloui par sa densité, sa documentation titanesque, mais surtout par sa solidité. Alliant histoire et fiction, les auteurs étaient parvenus à peindre une fresque grandiose tout en rendant tangible chacune de ses séquences. Une sorte de plongée, caméra à l'épaule, pour faire (re)vivre au plus près, un période connue de tous, avec un œil nouveau grâce à une multitude de points de vue complémentaires. Longtemps attendu, le deuxième opus, Égalité - livre I, est venu quatre ans après, garnir les rayonnages des librairies. Avec le même bonheur ?

D'emblée, les premières pages apportent un début de réponse : les compères ont haussé leur niveau de dessin. Toujours généreuses, leurs planches regorgent à nouveau de détails, mais le trait se fait plus fin, plus précis, plus maîtrisé en somme. Les visages de leurs personnages, bien-sûr, comme les décors et les arrière-plans gagnent en qualité. Les reconstitutions de l'intérieur des Tuileries (pp.10 et 11), du château de Vincennes (pp 34, 35 et 39), de l'atelier à tisser (pp.154) ou encore du Champs de Mars (pp. 266-267) pour ne citer qu'elles, valent le détour. Tout comme les désormais habituelles double-pages, spectaculaires et saisissantes. La colorisation, avec l'arrivée de Joal Grange pour les épauler, a aussi gagné en lisibilité. Le coloriste apporte de la variété, les teintes marronnasses du premier tome étaient souvent pointées comme l'un de ses seuls défauts. Ensemble, les artistes réalisent un joli travail sur la lumière. Toutefois, loin de se reposer sur cette montée en puissance graphique, le binôme a également soigné sa narration. Des dialogues ciselés, adaptés au rang social de leurs protagonistes, en passant par le rythme, chaque aspect est étudié pour maintenir l'attention tout en faisant passer le maximum d'informations. D'ailleurs, devant l'ampleur de la tâche, les auteurs ont dû revoir leur plan initial (trois albums étaient prévus) ; ce deuxième sera en deux parties afin de ne pas perdre en efficacité, la série devenant ainsi tétralogie.

L'autre grande force de ces albums reste leur cohérence. Avec habileté, le duo mêle fiction et réalité pour faire ressentir de l'intérieur les mois qui ont changé l'histoire de la France sans que l'ensemble perde en force ou en crédibilité. Qu'ils soient inventés - Louise, Jérôme Laigret, Isabelle Gormant du Cabanel ou Virgile de Saint-Roch -, ou qu'ils aient existé - Lafayette, Augustin De Kervélégan, Marat, etc. - les personnages jouent pleinement leur rôle ou gagnent en épaisseur. Certains se font même l'écho des multiples opinions de l'époque. Si quelques-uns restent sûrs de leurs convictions, d'autres, à l'image de Louise, évolueront au contact de personnes qui leur sont, à l'origine, éloignées par le rang comme par les idées. Ainsi, les personnages changent d'avis, se trompent, se révèlent même. Abel de Kervélégan, notamment, est intéressant sur plus d'un point. Éloigné du cœur de l'action dans cet album, ce « transfuge de classe » n'en demeure pas moins essentiel : il découvre la province et Bordeaux, les aspirations du peuple et la vision que les gens ont des évènements. Il apporte ainsi un autre regard sur cette révolution qui tarde à se conclure. L'intrigue est aussi l'occasion de mettre en lumière l'agitation de certaines colonies à l'égard de l'esclavagisme. Comment se draper derrière la Liberté si, à quelques semaines de bateau, la même nation en tient une autre sous son joug ? Incarnée par Isabelle du Cabanel et Nathanaël Pym - entre autres -, cette sous intrigue résonne avec force dans la marche vers la République. Découpées en chapitres, introduits par les lettres de Isabelle, qui recentrent toujours le propos et aident à la compréhension de l'ensemble, ces quelques deux-cent-quatre-vingt-quatre planches continuent de brosser un tableau kaléidoscopique et intime des évènements qui secouent le pays. De la fuite avortée du souverain et « des chevaliers du poignard » au massacre du Champs de Mars, en passant par la capture de Louis XVI et des siens, les auteurs n'en oublient aucun. Mieux, ils les agencent avec talent et rigueur rendant la lecture palpitante jusqu'à la dernière case.

Exceptionnel de maîtrise, Égalité - livre I réussit l'exploit d'être encore meilleur que son prédécesseur. Grâce à un graphisme abouti, une science du rythme et de la narration au service d'une histoire follement immersive, la Révolution de Younn Locard et Florent Grouazel continue de marquer le neuvième Art. Avec un tel niveau d'exigence et de qualité, l'attente entre chaque sortie en vaut largement la chandelle.

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Moyenne des chroniqueurs
9.0