Harlem (Mikaël) 2. Harlem 2/2

S téphanie St. Clair règne sur les paris clandestins d’Harlem. Les affaires vont bien et elle est considérée comme la femme noire la plus riche des États-Unis. Généreuse, elle en fait profiter sa communauté. Sa bonne fortune agace toutefois, particulièrement McCann, le policier corrompu, et Dutch Schultz, un trafiquant de bière. Celle que l’on nomme Queenie ou Frenchie aurait pu obtenir la protection de Lucky Luciano. Elle s’entête cependant à demeurer seule maître à bord, quitte à se brouiller avec Bumpy Johnson, son fidèle garde du corps, lequel avait négocié un accord avec le parrain. Cerise sur le gâteau, elle signe des articles incendiaires sur le microcosme dans lequel elle évolue. Bref, elle a de plus en plus d’ennemis et de moins en moins d’amis.

Dans ce deuxième volet du diptyque Harlem, Mikael poursuit le récit de la chute de celle qui s’est enfuie de la République dominicaine pour s’enrichir dans la Grosse Pomme. Le lecteur comprend que pour y arriver, elle a dû s’imposer et se montrer tenace et entêtée. Paradoxalement, ces qualités causeront sa perte.

En creux se lit l’histoire d’un quartier, une sorte de zone de non-droit où les prostituées sont dociles et l’alcool coule à flots, malgré la prohibition. Ces activités illicites semblent constituer la meilleure stratégie pour les noirs aspirant à gagner leur place au soleil. Les blancs aiment s’encanailler chez eux, mais ne manquent pas de leur rappeler qu’ils sont tout au plus tolérés dans leur pays.

Le destin du journaliste Robert Bishop, nègre littéraire de Frenchie, offre un intéressant contrepoint à l’héroïne avec laquelle il présente certains points communs. Venu du Canada, il est donc lui aussi immigrant et s’est débarrassé de son accent pour se fondre dans la masse. À l’instar de la protagoniste, il est prêt à se compromettre pour connaître le succès, même à la trahir.

Un bémol : la narration est ponctuée de longs segments racontant la jeunesse de Queenie. Certes, ces retours dans le passé expliquent la psychologie du personnage ; ils finissent tout de même par prendre beaucoup de place.

Le dessin de Mikael continue d’être de belle tenue. Sa reconstitution des lieux est réussie et ses acteurs se révèlent très charismatiques. Ses illustrations expriment toute la misère des gens et la déliquescence du quartier où ils habitent. Impossible de passer sous silence la colorisation, essentiellement en marron et sépia. Apparaissant aussi sombre que le propos, elle contribue magistralement à créer l’atmosphère d’une ville en train de basculer. Les scènes dépeignant l’enfance et l’arrivée de la jeune femme à Manhattan adoptent pour leur part une teinte gris-bleu ; ils sont parsemés de taches d’un jaune vif traduisant ses espoirs alors qu’elle est en route vers son rêve américain.

Avec cet album, Mikaël conclut joliment sa trilogie new-yorkaise. Un portrait réaliste de la dèche pendant la dépression économique des années 1930.

Moyenne des chroniqueurs
8.0