Village global

« Suite à la décision préfectorale d’ouvrir des logements à Mazé pour l’accueil de demandeurs d’asile. Réunion publique d’information à la salle communale, à 20h, le vendredi 13 octobre. »
Le jour dit, les cris fusent entre les partisans de la solidarité et les réactionnaires. L’installation des nouveaux venus dans la vieille chapelle, rénovée pour l’occasion, cristallise les récriminations du Groupe de Résistance à l’Invasion de Nos Campagnes qui se lance dans des placardages appelant à bouter les étrangers hors du village. Papy féru de rafistolage, Aristide est pris entre deux feux. D’un côté, le G.R.I.N.C lui fait du gringue avec son discours sur le retour à la tranquillité entre soi ; de l’autre, sa petite fille Salomé l’incite à s’ouvrir au monde et à la découverte.

Les migrations internationales sont une réalité ancienne et l’enjeu en Anjou – comme ailleurs dans l’Hexagone (et pas seulement) – est d’y faire face au mieux, en s’appuyant sur les infrastructures existantes ainsi que sur les aides bénévoles et, en parallèle, en informant la population afin de convaincre et de prévenir les velléités séditieuses des fâcheux. Dans Village global, édité par Steinkis, Damien Geffroy et David Lessault, spécialiste du sujet, font de la petite commune de Mazé l’exemple-type de ces tiraillements qui agitent tant les esprits.

Le tableau dépeint et les portraits dressés respirent l’authenticité ; et pour cause. Si certains éléments sont fictifs, les parcours migratoires mis en avant sont tirés d’histoires réelles, récentes ou pas. Car, loin de s’arrêter aux flux de la dernière décennie, les auteurs incluent des installations remontant au début du XXème siècle, en provenance d’Italie ou d’Espagne par exemple… C’est une façon de rappeler que le phénomène n’a rien de neuf et que des migrants d’hier sont nés des habitants « de souche » d’aujourd’hui. De « vrais » Mazéais, comme diraient certains, persuadés que l’ancienneté – toute relative – dans le patelin leur donnerait davantage de droits – de résidence et d’aide - qu’à autrui. Les statistiques présentées lors d’une assemblée citoyenne permettent aussi de mesurer ce dont il est question, tandis que le terrain parle de lui-même en montrant que les formes et les causes de la migration sont multiples. Le propos s’attache également à souligner, avec une touche d’humour, les contradictions des sectaires (leur leitmotiv associe le clocher - qui n’a rien demandé - au manque d’emploi – vers lequel d’aucun ne se précipite pourtant pas). Quant aux incertitudes de Mamadou, Zula et Archange, elles apparaissent clairement et illustrent parfaitement la précarité de leur situation.

L’intention didactique, sinon informative, est évidente et l’évolution de la vision de deux des protagonistes pourra paraître un peu facile. Toutefois, comment ne pas y déceler de l’espoir en des relations humaines apaisées au-delà des différences d’origine ? Le lecteur pourra aussi se sentir touché par le vécu des demandeurs d’asile, autant que concerné par la francophilie de Mme Smith soucieuse des retombées du Brexit ou admiratif de l’expatriation saisonnière d’Olek, déraciné pour gagner de quoi faire mieux vivre sa famille restée en Pologne. La partie graphique est à l’avenant : la composition est plutôt dynamique et Damien Geffroy croque avec talent les divers acteurs grâce à un trait arrondi et semi-réaliste. La mise en couleurs alterne du lavis sépia pour la trame générale et une teinte distincte pour chaque témoignage de migrant ; une façon bien trouvée de concrétiser la touche colorée qu’ils apportent à la vie un brin terne de la localité.

S’inscrivant pleinement dans des questions d’actualité clivantes, Village global replace le clocher au centre du village, certes de manière un peu moralisatrice, mais malheureusement nécessaire. Pourquoi refuser une invitation au dialogue, à l’accueil et au vivre-ensemble d’où qu’on vienne ? Franchissez le pas.

Moyenne des chroniqueurs
6.0