Mocha Dick

E n 1889, quelque part sur les côtes chiliennes, après une tempête, est retrouvée la dépouille échouée d’un monstrueux cétacé tout blanc, piqué de multiples harpons. L’un d’entre eux est encore tenu par les ossements d’un avant-bras humain. Une bague orne un des doigts, bijou que reconnait le pasteur Caleb Hienam avec émotion. Il plonge alors dans ses souvenirs les plus lointains, en 1821, lorsqu’Aliro Leftraru, son ami, et lui-même étaient baleiniers à bord du Dauphin. Un jour, ils recueillirent trois marins, dérivant dans un canot, quasi morts. Ceux-ci racontèrent qu’ils étaient des rescapés de l’Essex, coulé par une baleine blanche, connue sous le nom de Mocha par les Mapuches, la reine des mers, l’incarnation de l’équilibre des océans, la Nature elle-même. Caleb et Aliro apprennent quelques temps après que le récit qu’on leur a fait était incomplet, qu’un terrible secret entoure la mort d’un jeune marin. Le père de ce dernier déclare mettre à prix la tête de la Mocha. Les deux héros décident alors de s’embarquer sur le Peleg Hawthorne, en provenance de Nantucket, dont le capitaine est déterminé à se confronter au Léviathan.

Mocha Dick, publié initialement au Chili en 2013, est le premier scénario pour la bande dessinée de Francisco Ortega, journaliste, enseignant et écrivain. C’est son compatriote, Gonzalo Martinez, architecte, trompettiste de jazz et professeur, qui se charge du dessin. Pour l’un comme pour l’autre, cet album est la première de leurs œuvres publiée en français. Ils ne proposent pas ici une énième adaptation du monument d’Herman Melville (1851), mais remontent à la source de l’histoire, c’est-à-dire au récit que Jeremiah Reynolds fit paraitre dans le Knickerbocker Magazine en 1839, après l’avoir entendu narré par les indiens du Chili. Le jeu de cache-cache et la joute entre Mocha Dick et les chasseurs prennent ici une dimension mystique et colonialiste. En effet, dans ce conflit, l’enjeu n’est pas seulement une proie de plus, mais une lutte entre les peuples, une confrontation entre avidité pécuniaire et préservation d’une certaine harmonie du monde, l’amitié contre la vengeance.

Dans cette histoire du cachalot albinos avant Moby Dick, Ortega a su édifier plusieurs niveaux de lecture, donnant toute sa pertinence à cet album qui peut ravir les plus jeunes comme les collectionneurs de tout ce qui se publie autour de ce mythe littéraire. Une réserve peut être émise sur le choix du petit format, toujours discutable dans le neuvième art, et le dessin peut-être trop dépouillé de Martinez, dans la platitude et la fadeur qui semblent enfermer parfois les utilisateurs de la palette graphique. Mais, c’est chipoter.

Moyenne des chroniqueurs
7.0