La sage-femme du roi

L es Lumières du 18è siècle ont parfois eu des difficultés à éclairer certains domaines, se complaisant plus que d’autres dans l’obscurité. La médecine en a fait partie. À Paris, la rivalité bat son plein entre les sages-femmes et les chirurgiens accoucheurs. Les unes ont le savoir du corps féminin, mais sont souvent assimilées aux avorteuses ; les autres ont un savoir théorique et le droit d’utiliser des instruments. D’ailleurs, la mise au point des forceps par André Levret en 1747 est considérée comme un tournant. Au-delà de ces importantes considérations techniques, les unes sont des femmes, les autres sont des hommes, en un temps où l’égalité entre les deux sexes était à peine esquissée par des artistes et philosophes de second rayon.

C’est dans ce contexte qu’exerce Madame du Coudray. Lors d'une soirée chez madame du Deffand, Diderot prévoit la disparition prochaine de sa profession, au nom du progrès. Les médecins sont plus aptes à ces affaires-là. Par conséquent, lorsqu’un notable auvergnat lui propose de rejoindre Thiers, afin d’endiguer la mortalité infantile et maternelle due aux mauvaises pratiques des matrones, elle n’hésite guère. Mais l’accueil sera plutôt hostile. Célibataire endurcie, madame du Coudray devra lutter contre les superstitions, les habitudes, la pudeur, la peur, l’inconnu et les rumeurs. Une fois n’est pas coutume, le curé Duriez sera son allié et les femmes ses plus farouches opposantes.

Après Le Manifeste des 343, Adeline Laffitte donne à nouveau la parole aux dames, à travers l'une d’entre elles qui, il y a presque trois siècles, a mis sa vie au service d’une lutte contre toutes ces mortes en couches et ces bébés qui les suivaient souvent dans le trépas. Ne se résignant pas au fatalisme de l’époque, cherchant à comprendre et à transmettre, madame du Coudray n’eut de cesse d’observer, d’inventer les bons gestes, de s’appuyer sur une démarche scientifique et de former elle-même des apprenties. La réussite de l’album, par-delà un portrait impeccablement brossé et un récit mené avec adresse, est de montrer que les freins ne sont pas forcément médicaux et que l’Église, contrairement à la science, a pu être facilitatrice. Ce siècle n’a jamais été à une contradiction près.

Hervé Duphot (Le Jardin de Rose, Simone Veil – L’Immortelle) met en image sobrement ce combat et les doutes qui l’accompagnent. Cela ne signifie pas que le dessin est insignifiant, mais plutôt qu’il évite d’être envahissant et de se mettre en concurrence avec les idées et les dialogues. La force d’un graphisme peut résider dans sa modestie. Ponctuellement, de belles pleines pages rendent hommage à l’architecture du siècle de Louis XV ou aux paysages montagneux environnant Thiers. L’ambition de cet album est de sortir de l’anonymat de l’histoire une figure remarquable et de rappeler que la route du progrès peut être tortueuse et injuste. La mission est remplie de belle façon.

Moyenne des chroniqueurs
7.0