Écuyère

L ’empire Bayt-Sajji, édifié par la conquête, est menacé par la disette. Cela ravive les haines ancestrales de ses habitants envers les peuples soumis depuis des décennies. Aiza, jeune Ornu, en a fait l’amère expérience en ville, alors qu’elle vendait des fruits cultivés par sa famille. Mais il en faudrait davantage pour inquiéter l’adolescente. D’ailleurs, son attention a vite été captivée par l’annonce d’une vaste campagne de recrutement menée par l’armée dans toutes les provinces. Décidée à s’engager, Aiza espère devenir Écuyère, un statut privilégié qui lui permettrait d’améliorer son avenir. Elle parvient à convaincre ses parents réticents, en promettant de taire ses origines. Le chemin débute par un trajet en carriole jusqu’à une montagne en plein désert. Là, en compagnie d’Husni, Sahar et Basem, l’aspirante va découvrir l’enfer de l’entrainement dirigé par l’inflexible Générale Hende, avant de devoir affronter un dilemme crucial.

Quand une aventure chevaleresque sur fond d’impérialisme et de discrimination prend place dans Proche-Orient teinté de fantasy sous la plume d’une Palestino-américaine et le pinceau d’une Jordano-américaine, cela donne Écuyère. Récompensé par le Harvey Award de la meilleure bande dessinée Jeunesse et Jeunes adultes en 2022, l’album se nourrit de thématiques chères à ses autrices et à la résonnance actuelle. Ainsi, le choix d’instaurer une égalité incontestée entre femmes et hommes (l’armée est parfaitement mixte) fait écho à un certain féminisme, nuancé par le fait que l’oppression et la haine n’ont pas de sexe.

Nadia Shammas (Ms. Marvel : Hors contrôle) construit adroitement son récit, le rendant assez captivant pour que les trois-cents pages s’écoulent sans peine ni lassitude. Cet intérêt provient également des notes d’humour qui parsèment le propos et des personnalités attachantes de l’héroïne, de ses amis et de son mentor. Découpée en treize chapitres, l’histoire débute par une première confrontation permettant d’établir le contexte général et d’avoir déjà un avant-goût des tensions existantes. Puis, la vie de caserne occupe une place importante et donne l’occasion de voir des amitiés se nouer, comme de jauger le conditionnement – physique autant que psychologique - des recrues et d’apprécier la rivalité entre celles-ci au gré des épreuves de passage. Cependant, il faut attendre la seconde moitié de l’album pour que les jalons disposés jusque-là déclenchent une succession d’événements. L’action s’accélère alors, en dévoilant la force pernicieuse des manipulations à l’œuvre et les conséquences de préjugés nés de la propagande. Tout se précipite dans le treizième chapitre, véritable climax. Ce sentiment que tout va trop vite – seul vrai bémol de l’ouvrage – est contrebalancé par le retour au calme d’un dénouement doux-amer.

La partition graphique de Sara Alfageeh se révèle globalement réussie. Empruntant au comics et au manga, son trait semi-réaliste se montre expressif, tandis que l’agencement des cases et la variété des cadrages assurent une bonne immersion. Par ailleurs, si certaines proportions sont exagérées (la main tellement minuscule d’Azia dans celle gigantesque du vieux gardien manchot), le travail sur l’ambiance moyen-orientale s’avère appréciable, qu’il s’agisse des costumes (aux influences ottomanes) ou des décors. Certaines séquences font particulièrement mouche, notamment la scène des lettres qui invite à mieux connaître le quatuor d’aspirants chevaliers.

Bien raconté et joliment illustré, Écuyère constitue une lecture distrayante et accrocheuse. À recommander aux adolescents en quête d’aventure dépaysante.

Moyenne des chroniqueurs
6.5