Dum Dum

B erlin, 1930. Stan Wojciechowski arrive dans la capitale allemande afin d’intégrer un cabinet d’ingénieur en tant que dessinateur technique. Il a eu la chance de trouver ce travail grâce à son cousin. Ce n’est pas qu’ils soient très proches, mais entre Polonais, il faut se serrer les coudes. Très doué pour le dessin, le nouveau-venu souffre cependant de stress post-traumatique sévère après avoir été enrôlé de force durant la Première Guerre mondiale. Un projet professionnel intéressant, une grande ville à explorer, des loisirs et des rencontres enrichissantes, il a tout entre les mains pour aller mieux. L’avenir ne s’annonce-t-il pas brillant pour le Reich, après ces années de crises à répétition ?

Ville nouvelle et Soleil mécanique pouvaient être vus comme des expériences formelles extrêmes. Avec cet ouvrage, Lukasz Wojciechowski prouve qu’il est en fait en train de construire une œuvre originale des plus personnelles. Toujours avec comme ligne de mire l’architecture et l’urbanisme, celui-ci élargit ses horizons thématiques. Ainsi, dans Dum Dum, il intègre un aspect biographique à sa narration en s’inspirant des destinées tragiques de deux de ses aïeuls. Seul survivant d’une fratrie prise dans les aléas des guerres et des révolutions, le garçon s’était retrouvé, à quatorze ans seulement, sous le drapeau allemand (son frère se battant pour le camp d’en face, du côté des Polonais). L’histoire moderne de la Pologne est compliquée et sert évidemment de toile de fond à ce récit poignant et aux ramifications multiples.

Le lecteur suit le quotidien du jeune homme, entre routine et épisodes psychotiques violents. Autour de lui, le cousin Hans croit au progrès, à la pureté des lignes et à la modernité pour amener la paix dans les âmes. Il y a aussi Anne, une charmante personne rencontrée au cinéma. Cette dernière croit que l’Art est une échappatoire pour comprendre les blessures intérieures et, qui sait, les soigner. Elle va prendre Stan sous son aile et essayer de deviner ce qui se cache derrière cette carapace si maganée. Quid du reste de la société et de la montée des extrémismes ? Oui, c’est inquiétant, mais si loin des préoccupations directes de ces Messieurs et Mesdames tout le monde.

Trait épuré jusqu’à sa plus simple expression, scénario ciselé comme un mouvement d’horlogerie, nombreuses accroches et références culturelles de hauts niveau, l’album, comme les précédents, peut paraître aride et peu engageant au premier regard. Il l’est certainement, la sécheresse et la raideur des dessins réalisés à l’aide du logiciel AutoCad© n’aident en rien à l’ébahissement rétinien. Cependant, passé outre ce rendu particulier, la complexité des personnages et des situations devient évidente et passionnante. Psychologies poussées, mises en contexte constantes et concordances entre les époques sautent aux yeux. Ultime point d’orgue, au fil des pages, une certaine émotion perle à travers les vecteurs et les volumes.

Minimaliste dans la forme (et encore, certaines planches et passages s’avèrent graphiquement époustouflants d’inventivité), thématiquement profond et doté d’une richesse narrative incroyable, Dum Dum est une lecture aboutie recelant une humanité de tous les instants. Lukasz Wojciechowski est un auteur au sens littéral du terme. À découvrir d’urgence.

Moyenne des chroniqueurs
7.0