Pepe Carvalho 3. Les mers du Sud

E n 1979, l’Espagne sort tout juste de quatre décennies de dictature franquiste. Les premières élections libres viennent d’être organisées, les partis de gauche peuvent exister et avoir pignon sur rue. L’idéologie conservatrice nationale catholique est mise à mal et les mœurs se libèrent. C’est dans cette période de transition que Pepe Carvalho exerce le métier de détective privé dans la capitale catalane. Libidineux, gourmand, alcoolo, il traîne son cynisme et son amoralité dans toutes les couches de la société, ayant pour seul credo l’accomplissement de la mission pour laquelle il est payé.

Le cadavre d’un homme d’affaire a été retrouvé dans un terrain vague d’un quartier mal famé, loin de son environnement naturel. Le corps apparaît alors que l’individu a disparu depuis un an. Son entourage le croyait parti pour les mers du Sud, voyage qui l’obsédait. Sa veuve engage Carvalho pour découvrir ce que son défunt mari a pu faire ces douze derniers mois, et accessoirement pour identifier l’assassin. Au fil de son enquête, le limier descendra inexorablement dans les bas-fonds barcelonais, passant insensiblement des soirées mondaines à la prostitution de rue, de vastes projets immobiliers au militantisme d’extrême gauche, du milieu artistique à la délinquance. Dans le même temps, le privé prend la fille de la victime comme maîtresse, convoite sa mère et s’adonne plus que de raison à ses plaisirs culinaires et masturbatoires.

Manuel Vázquez Montalbán (1939-2003), écrivain et journaliste, est surtout connu pour les dix-sept romans policiers mettant en scène Pepe Carvalho. Le scénariste Hernán Migoya et le dessinateur Bartholomé Seguí ont également adapté Tatouage en 2018 et La Solitude du manager en 2020. Le projet est de respecter l’intrigue, les caractéristiques des personnages principaux, le ton de l'œuvre originale, tout en permettant au dessin d’aller plus loin dans les ambiances marquées et diverses. Le travail remarquable sur les textures, les couleurs et la lumière souligne la pluralité de la société décrite, reprend les codes du polar noir (qu’il soit littéraire ou cinématographique) et souligne la violence de tous les contrastes auxquels le Marlowe catalan est confronté. Du luxueux intérieur blanc, rehaussé d’un piano rose, du marquis Alfredo Munt, aux sordides logements populaires et sombres, c’est un tableau complet de la ville qui est offert au lecteur : les avenues, les impasses, les bars louches, les restaurants bon marché, les villas cossues. Nulle trace de Gaudi et des clichés du genre (la Sagrada Familia est tout juste esquissée sur une vue d’ensemble), mais une Barcelone remuée et déboussolée, de ces mouvements qui font émerger des cadavres, des identités complexes et des ressentiments à n’en plus finir.

Album à la verve truculente, au rythme soutenu (grosso modo une situation par planche), à l’esprit iconoclaste et décapant, il n’est pas exagéré d’affirmer que cette série et cet épisode forment un équivalent de ce que Jacques Tardi a pu faire émerger de l’œuvre de Léo Malet, ni plus ni moins.

Moyenne des chroniqueurs
8.0