Les veilleurs Les Veilleurs

L e regard porté sur les handicaps pose encore problème. Leur multitude fait face au mutisme médiatique et aux idées reçues. Pour lutter contre ça, Yann Dégruel décide de consacrer un album entier à son expérience en tant qu'aidant, car malheureusement, seules les personnes concernées au premier chef peuvent trouver les mots justes pour en parler.

Dans ce récit autobiographique, Yann se trouve dans une situation financière difficile, comme de nombreux jeunes auteurs de bandes dessinées. De bouche à oreille, il trouve un travail de veilleur de nuit dans une structure associative s'occupant d'enfants et de jeunes atteints de TSA (trouble du spectre autistique) et de polyhandicap. À leur contact, le personnage principal va découvrir ce monde hors norme avec tout ce qu'il comporte de joies, de peines et d'extraordinaire.

Le dessinateur se livre sans filtre dans ce roman graphique. Il a travaillé dans cette structure de 2016 à 2019. Il en ressort changé, mûri et fatigué. La charge mentale qui pèse sur les aidants et le peu de personnel encadrant est admirablement évoquée. Il n'hésite pas à montrer ses moments de réussite et, surtout, ses épisodes de doutes et d'erreurs. Il interroge également le regard porté par les valides et les bienpensants, lors des scènes où il retrouve ses amis ou ses collègues dessinateurs. D'ailleurs, Yann Dégruel partage un émouvant souvenir d'un passage au festival de la bande dessinée d'Angoulême.

Au cours d'un repas entre professionnels, choqué par de prétendus traits d'humour, il prend la défense des handicapés. Le dimanche, l'un des organisateurs du festival l'en remercie et lui confesse être lui-même parent concerné et qu'il a été touché. Les lecteurs sont amenés à partager le ressenti de l'auteur en permanence, jusqu'à la fin. L'autre point d'intérêt de l'album est qu'il montre l'envers du décor du monde du handicap et du fonctionnement des quelques structures qui existent. Là encore, il témoigne sans faire de concession, en s'appuyant sur son expérience. En témoigne la présentation des formations durant lesquelles les encadrants peuvent parler à bâtons rompus. Par ailleurs, le bédéiste n'hésite pas à dévoiler la précarité du personnel qu'il compare à celle des auteurs.

Le style graphique, bien en rondeur, diffuse une certaine douceur. Son choix de séquençage est pertinent. Les chapitres sont séparés par des planches en noir et blanc accompagnant des explications supplémentaires. Pour le reste, tout le panel possible des dégradés de rouge et de bleu est convoqué, au service des émotions.

Les veilleurs est un témoignage honnête et sans fard de ce qu'est de vivre en accompagnant et en aidant des jeunes atteints de troubles du spectre autistique et de maladies rares. Riche de son expérience, le dessinateur souhaite sensibiliser un large public. Une très belle initiative !

Moyenne des chroniqueurs
9.0